Le Noël du Père Martin

par | Contes | 0 commentaires

IMG_0812 Quiringh van Brekelenkam. 1622-1669 environ. Leyden.Cordonnier dans son échoppe. Schwerin.Staatliches Museum

17

Déc, 2022

Le conte du père Martin a été écrit à la fin du 19ème siècle par Ruben Saillens. Tolstoï l’a trouvé si beau qu’il l’a traduit en russe et adapté pour ses compatriotes.  Depuis il a été traduit dans 20 langues.

Le voici, un peu dépoussiéré et abrégé. Racontez-le à vos enfants et petits-enfants et méditez avec eux.

Connaissez-vous le père Martin ?  C’est un cordonnier qui habitait dans une échoppe en bois, dans le vieux quartier de Marseille. Cette échoppe était à la fois son atelier, son salon, sa chambre à coucher et sa cuisine. Il vivait là en philosophe, ni trop riche, ni trop pauvre, réparant les chaussures de tous dans son quartier. Il était vieux et ses yeux ne lui permettaient plus de fabriquer des chaussures neuves comme autrefois.

Dans son quartier tout le monde le connaissait et l’aimait bien. Mais depuis quelques temps, les gens se posaient des questions. Le père Martin venait moins souvent au café avec ses amis. Il travaillait toujours bien avec plaisir. Mais surtout il  allait à des réunions où l’on chante des cantiques et où l’on parle du bon Dieu. Il avait un gros livre qu’il lisait très souvent. On le voyait par la fenêtre de l’échoppe. Il paraissait plus heureux. Car il en avait eu des malheurs, le père Martin ; sa femme était morte depuis 20 ans, son fils était parti comme marin sur un bateau qui n’était pas reparu et de sa fille, il n’en parlait pas; si on l’interrogeait il répondait en secouant la tête. Et maintenant il paraissait plus heureux et le gros livre en semblait être la cause.

Ce soir c’est la veillée de Noël. Il fait froid et humide dehors, mais l’échoppe du père Martin est claire et bien chauffée. Il a fini son travail et mangé sa soupe, son petit poêle ronfle et lui, assis dans un fauteuil de paille, les lunettes sur le nez, lit ceci dans son gros livre : « Il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie » (Luc 2,7)

Ici le lecteur s’arrête pour réfléchir « Pas de place pour Lui !! » Il regarde sa chambrette, étroite et propre. Il y aurait de la place pour Lui ici ! Quel bonheur de le recevoir ! Je me serais fait tout petit et leur aurait donné toute la place ! Pas de place pour Lui ! Mais qu’il vienne me demander à moi !

 

Je suis seul pour la fête et j’aimerais bien qu’il vienne chez moi. Et si c’était aujourd’hui le premier Noël ? Si ce soir le Sauveur devait venir au monde ? Et s’il choisissait mon échoppe pour y entrer ? Comme je le servirais, comme je l’adorerais. Que lui donnerais-je ? La Bible dit bien ce qu’apporte les mages, de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Je n’ai rien de tout cela. Et les bergers que lui ont-ils donné ; ce n’est pas raconté. Ah moi je sais ce que lui donnerais. Il étendit la main vers une étagère où se trouvait deux beaux petits souliers d’enfants ? Voilà, je donnerai à Jésus la plus belle œuvre de mes mains.

« Voilà, je donnerai à Jésus la plus belle œuvre de mes mains. »

Le réveillon commence dans le voisinage mais le père Martin ne bouge pas ; il a dû s’endormir.

_ « Martin » dit une voix douce tout près de lui

_ « Qui est là ?» cria le cordonnier effrayé, mais il ne voit personne.

_ « Martin, tu as désiré me voir, eh bien, regarde dans la rue demain, du matin jusqu’au soir. Tu me verras passer. Efforce-toi de me reconnaître car je ne me ferai pas connaître à toi.

La voix se tait. Minuit sonne. Noël est là.

_ « C’est Lui, il a promis de passer devant mon échoppe. Je l’attendrai. Quelle joie ! »

Longtemps avant le jour, sa petite lampe allumée, le cordonnier remet du charbon dans le poêle et prépare son café. Puis il range la chambre et s’assoit près de la fenêtre. Peu à peu le jour se lève et Martin voit sur la place le balayeur des rues, le plus matinal des travailleurs. Ce n’est pas lui qu’il attend. Mais il faisait froid dehors et le balayeur semblait souffrir ; il faisait de grands gestes pour se réchauffer.

« Le brave homme » se dit Martin, « C’est Noël et il a froid. Si je lui donnais une tasse de café ? Il frappe contre la vitre et lui fait signe de venir. Il ouvre sa porte.

_ « Venez vous réchauffer. Voulez-vous une tasse de café ? »

_ « Ah, comme vous êtes bon ; Merci ! » dit le balayeur.

Martin le sert et retourne bien vite vers la fenêtre ; il dit » J’attends mon Maître, c’est Jésus. » Et le père Martin se mit à raconter ce qu’il avait lu dans son gros livre, sans quitter la fenêtre.

_ « Et c’est lui que vous attendez ! Je crois que vous le verrez pas . Mais ça ne fait rien ; c’est à moi que vous l’aurez fait voir. Vous me prêterez votre livre ! Merci pour tout et au revoir ! » Et il laisse le père Martin collé à la fenêtre.

Il passe du monde, des gens que Martin connaît. Mais au bout d’une heure ou deux, il voit une jeune femme avec un enfant dans les bras. Elle était si pâle et si maigre ! Martin court lui ouvrir la porte et l’invite à entrer chez lui. Elle pourrait être sa fille.

_ « Ma pauvre petite, vous avez l’air malade ! »

_ « Je vais à l’hôpital, j’espère qu’on m’y recevra avec mon bébé. Mon mari est sur mer et voilà 3 mois que je l’attends ! »

« Comme mon fils », pensa Martin.

_ « Vous mangerez bien un morceau de pain, non ? Au moins une tasse de lait pour le petit. Chauffez-vous et donnez-moi votre bébé ; je sais les porter. Mais ? Vous ne lui avez pas mis de chaussures ! »

_ « Je n’en ai pas », soupire la dame

Et le vieil ouvrier cherche les souliers qu’il avait regardés la veille et les mets aux pieds de l’enfant.

_ « Je n’en ai plus besoin pour personne », dit Martin tout en regardant par la fenêtre. Il ne voulait pas manquer Jésus.

_ « Qu’est-ce que vous regardez ? », demande la dame

_ « J’attends mon Maître. Connaissez-vous Jésus ? »

_ « Certainement ; il n’y a pas si longtemps que j’ai appris mon catéchisme ! »

_ « C’est lui que j’attends. »

_ « Et vous croyez qu’il va passer par là ? »

_ « Il me l’a dit »

_ « Comme j’aimerais rester avec vous pour le voir ; mais je crois que vous vous trompez. Il faut que j’aille à l’hôpital. Au revoir et merci beaucoup ! »

« Et le vieil ouvrier cherche les souliers qu’il avait regardés la veille et les mets aux pieds de l’enfant. »

Des heures passent. Il y a beaucoup de monde dans la rue mais Jésus ne vient pas. Il passe des jeunes, des vieillards, des marins ; à tous, Martin fait un petit signe, un sourire. Des mendiants aussi s’arrêtent et Martin ouvre sa porte pour leur donner une pièce.

La nuit arrive ; Martin est fatigué et tellement triste. « C’était un rêve ; Il n’est pas venu ! » Il prend son livre mais n’arrive plus à lire. « Il n’est pas venu ! »

Mais tout-à-coup la chambre s’éclaire d’une lumière extraordinaire. Et sans que la porte s’ouvre, l’étroite échoppe se trouve remplie de monde, le balayeur, la jeune femme et son bébé, les mendiants, les voisins et chacun dit à Martin : « Ne m’as-tu pas vu ? »

_ « Mais qui êtes-vous ? » crie le cordonnier à tous ces fantômes. Alors, le petit enfant dans les bras de sa maman se penche sur le livre et de son doigt rose montre ce passage (Matthieu 25, 35) où Jésus dit « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez accueillis. Chaque fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces petits, vous me les avez faites à moi-même »

Le père Martin a vu Jésus plusieurs fois ce jour de Noël sans le reconnaître. Il était le balayeur, la jeune femme, les mendiants.