Purification et souillure
2 septembre 2018

Purification et souillure

Prédicateur:
Passage: Marc 7:1-23
Type De Service:

Chers frères et sœurs, vous voulez que je vous dise ? Je plains ces pauvres Pharisiens qui ont vécu au temps de Jésus. Pourquoi ? Parce que chaque fois qu’ils essaient de pousser Jésus dans ses retranchements, chaque fois qu’ils essaient de coincer Jésus, chaque fois c’est Jésus qui les fait réfléchir, et pas qu’un peu. Chaque fois que les Pharisiens agressent Jésus sur le sens d’une pratique religieuse, chaque fois Jésus critique le danger de s’attacher à un rite que l’on fait machinalement, sans conscience.

Les Pharisiens et quelques maîtres de la Loi sont autour de Jésus et de ses disciples. Ils les observent en train de prendre un repas, et remarquent que certains disciples ne se sont pas lavé les mains avant de manger. Effectivement, cela fait partie des gestes élémentaires d’hygiène, aussi pour nous aujourd’hui. C’est un détail qui a son importance, et la réponse de Jésus à ce sujet emmènera les Pharisiens sur un terrain bien plus vaste qu’ils ne l’avaient imaginé.

« Pourquoi tes disciples mangent-ils avec des mains souillées, au lieu de suivre la tradition des Anciens » ?

Au fond, la voilà la vraie question !  En fait, en parlant d’hygiène, les Pharisiens veulent parler d’autre chose : du respect de la tradition des Anciens. La vraie question est alors celle-ci : Pourquoi tes disciples ne respectent-ils pas la tradition des Anciens ? Et par voie de conséquence, pourquoi est-ce que toi, Jésus, tu ne dis rien ? Tu pourrais au moins les réprimander !

Vous avez certainement remarqué comme l’Evangéliste Marc insiste sur quantité de détails, concernant la Loi, non seulement à propos du lavement des mains, mais aussi à propos de la propreté des ustensiles de la vie quotidienne. Il y a là une exigence à faire pâlir les ménagères les plus maniaques. Cela peut virer à l’obsession. Mais ne nous méprenons pas. Ce n’est pas la propreté qui est remise en question, mais bel et bien le rituel qui conduit à rendre les choses et par voie de conséquence, les personnes, propres. Dans le langage de l’époque de Jésus, nous dirons « pures ».

Agir selon les règles de conformité, agir selon les normes, cela finit par classer les gens en deux catégories. Il y a ceux qui obéissent à la Loi, au pied de la lettre et qui sont les « purs », sous-entendu les meilleurs, et il y a les autres qui sont toujours à côté de la plaque, qui transgressent la Loi, ou qui obéissent à l’esprit de la Loi, et qui sont les « impurs », sous-entendu les pires.

Nous sommes aujourd’hui sur un terrain extrêmement scabreux car cette polémique est toujours d’actualité. Et on sait aussi comment les légalistes de l’extrême de tous les temps, ont réussi ce tour de force à classer les personnes, jusqu’à décréter que, si telle ou telle personne ne correspond pas à certaines normes physiques, ou n’adhère pas à telle ou telle doctrine politique ou philosophique, elle doit être exterminée.  Quand cette ségrégation s’étend à la religion, alors tous les excès sont permis, et justifiés au nom de Dieu. C’est cela que Jésus vient dénoncer avec une grande sévérité : la malveillance, la langue de vipère, et la pratique sans la foi, qui poussent les religieux à utiliser le nom de Dieu pour opprimer les autres, et faire de la relation à l’autre un rapport de force, et de sa vie un enfer.  C’est la racine de tout fondamentalisme, et de tout intégrisme. Il y a toujours un danger de faire une lecture littérale, et par conséquent, réductrice de la Loi. Cela conduit tôt ou tard à un enfermement.

En avril 2013, j’ai été très marquée par un film, qui s’appelle « Les voisins de Dieu ».  Un film rude et courageux qui est resté très peu de temps à l’affiche. Ce film a été réalisé par un cinéaste israélien, Meni Yaesh. Il nous embarque dans les faubourgs de Tel-Aviv où il a grandi.

Dans la banlieue de Tel-Aviv, dans le secteur juif orthodoxe, quelques jeunes gens ont décidé par eux-mêmes de faire respecter la Torah, la Loi de Dieu à la lettre du texte et de la Tradition.  Ils choisissent la force et la contrainte et s’érigent en juges. Pourtant, dans leur vie quotidienne, ils se situent en marge, en buvant de l’alcool et en fumant des substances illicites. Entre autres, ils sont intransigeants avec les jeunes filles et leur façon « moderne » de s’habiller, qu’ils jugent indécente.  Ils font régner la terreur sur tout le quartier et cela déborde bien souvent sur le quartier arabe de la ville, justifiant encore plus la vengeance gratuite par toute sorte d’exactions. Ils vont à la synagogue. Ils ne sont jamais d’accord avec le Rabbin qu’ils trouvent trop laxiste. Et le Rabbin les appelle sans cesse à la tempérance et à élargir leur réflexion et à réviser leur pratique.

Mais la rencontre d’une jeune fille, plutôt libérée et ayant choisi la laïcité pour son quotidien, va déstabiliser le chef de la bande qui, à sa grande surprise, en tombe amoureux.  Commence alors pour lui une réflexion de fond sur ses engagements religieux, sa façon de croire et surtout de pratiquer sa religion. Il rentre vraiment en dialogue avec lui-même, voire avec Dieu, avec une très belle scène sur la plage, où, à la manière du psalmiste, il interroge Dieu dans toute sa colère, déstabilisé par ses sentiments et son attirance pour cette jeune fille, alors qu’il respecte la Loi et la Tradition. « Pourquoi m’as-tu fait tomber amoureux de cette fille dépravée et incroyante ? » Il lutte, mais en vain.  C’est elle qui l’oblige à revisiter ce qu’il croit, et à interroger l’approche fondamentaliste de sa pratique, en mettant le doigt sur ses contradictions. Elle-même, réfractaire à toute forme de pratique religieuse, accepte, au final, d’être reçue dans la famille du jeune homme et de participer à un Sabbat et de se réapproprier la pratique religieuse délaissée.

Jésus en son temps, s’est trouvé devant des hommes qui avaient choisi cette voie. Les Pharisiens du temps de Jésus appartenaient à un mouvement qui était une vraie reprise en main qui traduisait un choix : le refus de toute compromission politique et le refus du laisser aller dans la pratique religieuse. Ce mouvement est tout à fait respectable, et Jésus le respecte. Mais les pharisiens de l’époque de Jésus avaient radicalisé la Loi. Prenons l’exemple de la femme prise en flagrant délit d’adultère. Elle est amenée toute seule devant les pharisiens et les maîtres de la Loi, pour être jugée, et lapidée, alors que selon la Loi, son amant aurait du être arrêté également et lapidé avec.  Il y a là une lecture réductrice de la Loi, et c’est un piège, duquel Jésus se sort en prononçant cette phrase mémorable : « Que celui qui n’a jamais pêché, jette la première pierre ». Jésus remet tout le monde devant la Loi, de manière égalitaire. Et on sait comment tous les hommes se dispersent, à commencer les plus âgés. (Jean chapitre 8)

Jésus cite le prophète Esaïe (29/13) : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Le culte qu’ils me rendent est inutile, les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains »

Et Jésus ajoute en s’adressant aux pharisiens : « Vous savez fort bien rejeter le commandement de Dieu, pour vous en tenir à votre propre enseignement. »

Que veut dire Jésus ? Que veut dire avoir le cœur loin de Dieu ?

C’est d’appliquer la Loi, de manière tellement perfectionniste, qu’on ne fait plus attention à celles et ceux qui n’arrivent pas à faire de même. Avoir le cœur loin de Dieu, c’est de porter des jugements hâtifs sur ces personnes qui semblent vivre loin de la pratique « comme il faut ». Avoir le cœur loin de Dieu, c’est de transformer la Loi de Dieu, en pratique tatillonne et légaliste. Avoir le cœur loin de Dieu, c’est réduire cette loi à une somme de préceptes, qui ressemblerait à un code pénal.

Or la Loi de Dieu c’est un chemin pour vivre avec les autres et non  pas contre les autres, visant à les exclure.

Finalement c’est cela qui est dénoncé dans le film que j’ai vu.

Et c’est ce que nous retrouvons dans le texte biblique de ce matin : Quand Jésus dit : « Il n’y a rien au dehors de hêtre humain qui puisse le souiller en entrant en lui, c’est ce qui sort de l’être humain qui le souille », il dénonce tous les débordements qu’offre insidieusement la tentation fondamentaliste de tout faire respecter à la lettre, même en restant en marge, comme si le monde se réduisait à une somme de lois qu’il faudrait respecter et rien d’autre. L’autre tentation c’est de croire surtout que cela suffit pour avoir raison et faire partie des purs.

Mais le monde est rempli d’exceptions. Chaque être humain est une exception, un être unique et irremplaçable, avec son mode de pensées et de réflexions, avec son histoire et ses aspirations, son « courage d’être » selon l’expression du théologien Paul Tillich.  On ne peut mettre personne dans une case unique, religieuse, sexuelle, ou raciale. Inlassablement, on reste invité à se rencontrer, à dialoguer, à se connaître et se comprendre, pour essayer de vivre ensemble. Qu’on le veuille ou non, l’amour humain, qui dit toujours quelque chose de l’amour de Dieu, continue de faire réfléchir et remettre en question, de faire flancher, de sortir de toute sorte de barbarie.  Il continuera à changer le monde en le faisant passer des ténèbres de toute forme de fermetures, à la lumière de l’accueil et de l’ouverture sur l’autre.

Jésus est venu en inaugurer le chemin. Il est venu accomplir la Loi, et non l’abolir.

Il ne nous demande pas de choisir entre la Loi et l’Amour, mais il nous demande de nous poser la question : qu’est-ce que représente pour chacun d’entre nous la pratique religieuse ? A quoi nous sert-elle ?

Quel genre de croyants sommes-nous ?

Des croyants non pratiquants ? Ou des pratiquants non-croyants ?

Sommes-nous quand mêmes des croyants pratiquants ?

Toutes ces affirmations sont là pour ouvrir à la discussion, prendre le temps de redéfinir les mots, poser les questions du respect, de la transgression, de la relation à Dieu, de la relation à l’autre, de la culpabilité et de la responsabilité. Bref de la complexité de l’être humain, pétri de ses contradictions.

Ce texte nous invite à relire nos propres vies. Et à prendre conscience de notre idéal religieux. Cet idéal peut avoir ses propres écueils. Une observation trop rigide de la Loi de Dieu peut engendrer une super bonne conscience, mais nous rendre méprisants pour ceux qui ne sont pas comme nous. La Loi de Dieu peut nous empêcher de vivre avec les autres, alors qu’elle existe pour vivre ensemble.

Prenons garde à la religion sans la foi, mais prenons garde aussi à la foi sans l’amour.

Prenons garde à tout ce qui sort de notre bouche !

Amen.

Agnès, le 2 septembre 2018

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