La Résurrection de Lazare ou la mise en scène de la Gloire de Dieu
23 mars 2020

La Résurrection de Lazare ou la mise en scène de la Gloire de Dieu

Prédicateur:
Passage: Jean 11:1-44
Type De Service:

Amis, frères et sœurs,

Jean est le seul évangéliste à rapporter cet épisode. Un récit particulièrement vivant qui présente plusieurs cadres, divers groupes humains (protagonistes et chœur...), des déplacements et des actions, des dialogues...

Il aborde aussi plusieurs thèmes existentiels : la vie, la mort, les liens d’enseignement, les liens d’amitié... mais également notre relation à Dieu : la foi.

Il soulève de multiples questions, et introduit des possibilités de malentendus. Comme dans tant de textes bibliques, ces malentendus mettent mal à l’aise mais sont en définitive féconds parce qu’ils génèrent la possibilité d’interprétations diverses, mais invitent surtout à écouter sans préjugés une parole nouvelle.

Les malentendus interrogent également le lecteur, l’amenant à réagir : car cet épisode nous trouble, nous émerveille, nous bouleverse, excite notre indignation, notre incrédulité, suscite notre espoir. Il rejoint étrangement l’actualité que nous vivons, nos peurs, nos doutes et nos deuils.

Le cadre est esquissé en même temps que la situation : Au début du passage, Jésus se trouve au-delà du Jourdain, là où trois ans plus tôt, il a reçu le baptême de Jean-Baptiste, là où il a reçu l’appel de Dieu et où il a commencé son ministère. Il y est pour des raisons de sécurité : les Juifs considèrent qu’il blasphème lorsqu’il se déclare fils de Dieu et il vient d’échapper de peu à la lapidation. En ce chapitre 11, il se déplace à Béthanie, qui se trouve en-deçà du Jourdain, en Judée, à trois kilomètres à l’est de Jérusalem, pour retrouver ses amis, la fratrie de Marthe, Marie et Lazare. Ce faisant, il s’expose à la vindicte des Judéens qui veulent sa mort. La Passion est enclenchée et le récit de la résurrection de Lazare peut en être considéré comme une sorte de prolepse, un moment charnière entre le ministère public de Jésus et le temps de la Passion. Il doit être lu dans la conscience de ce climat de risque parfaitement défini par les disciples : [8] Les disciples lui dirent : « Rabbi, les Juifs, tout récemment, cherchaient à te lapider, et tu retournes en Judée ! »

Et, au verset [16] « Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons aussi afin de mourir avec lui. » Le caractère fougueux et pragmatique de Thomas se dessine ici : en Jean XX, 27-29, il croira, parce que Jésus ressuscité l’autorisera à toucher ses plaies. Le gros plan sur Thomas, qui le détache des autres disciples, introduit le thème de la foi, central dans ce texte. En effet en Jean XX, 29, Jésus dira à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! ». En définitive, si cet épisode charnière se présente à première vue comme une de ces « preuves » qui balisent l’Évangile de Jean, car les hommes sont avides de miracles, il propose surtout une réflexion sur la foi.

On passe ainsi de la tristesse de la mort de Lazare à l’inquiétude à propos des haines qui menacent Jésus et ses disciples. Cependant le propos énigmatique des versets 9 et 10 montre que Jésus, s’il a bien conscience du danger couru, propose déjà la sortie de ces risques « N’y-a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne bronche point parce qu’il voit la lumière de ce monde. »

Le texte proposé aujourd’hui s’arrête artificiellement au verset 47, mais les versets suivants montrent les réactions divergentes des témoins de la Résurrection de Lazare : certains Judéens crurent ce jour-là en Jésus, d’autres conspirèrent pour dénoncer son action, jugée subversive : les agitations provoquées par Jésus sont susceptibles, selon eux, d’agacer les Romains et de déclencher une répression. Mais on sait par ailleurs que les principaux sacrificateurs sont jaloux de la notoriété de Jésus, car beaucoup de Juifs se détournent d’eux pour le rejoindre. La suppression de Jésus, fomentée par le Sanhédrin, est politiquement justifiée par Caïphe : « Caïphe, qui était souverain sacrificateur cette année-là, leur dit : « Vous n’y entendez rien. [50] Vous ne réfléchissez-pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas. [51] Or, il ne dit pas cela de lui-même ; mais étant souverain sacrificateur cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation... » Caïphe est « prophète malgré lui » : Jean intervient dans le récit et souligne que le sacrifice de Jésus n’a pas qu’une fonction politique, mais une autre bien plus fondamentale : il permet l’avènement d’une humanité nouvelle : [52] Et ce n’était pas pour la nation seulement ; c’était aussi afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu dispersés. »

Après cet épisode, du reste, Jésus se met à l’abri avec ses disciples en retournant en Transjordanie, dans la petite ville d’Ephraïm Puis, c’est la Pâques juive et le retour à Jérusalem...

Après avoir présenté Jésus au sein du groupe de ses disciples, le narrateur le confronte à Marthe, puis à Marie et aux Juifs, venus de Jérusalem pour consoler les deux sœurs de la mort de leur frère car cette fratrie jouit d’une certaine notoriété à Jérusalem. Nous sommes dans un milieu traditionnel juif.

Les premiers versets présentent la famille de Béthanie et annoncent la maladie de Lazare, sur laquelle le narrateur insiste puisqu’elle est mentionnée trois fois en trois versets (v. 1-3).

D’autre part, une étroite amitié unit Jésus avec les deux sœurs et avec Lazare (cf. v. 3 : « Celui que tu aimes est malade », envoient dire Marthe et Marie, et le narrateur ajoute au v. 5 : « Jésus aimait Marthe, sa sœur et Lazare ».

Comme au bridge, Lazare joue le rôle du « mort » : il n’a rien demandé mais il reçoit la grâce. Cette histoire, qui conduit Jésus à la mort, le ramène à la vie.

L’amour que Jésus éprouve pour cette famille affectivement unie s’oppose pourtant à l’indifférence qu’il affiche à l’annonce de la maladie de Lazare : il reste, en effet, encore deux jours à l’endroit où il se trouve avant de se mettre en chemin vers Béthanie (v. 6). Et il se contente de déclarer :

« Cette maladie-là ne débouche pas sur la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » (v.4). On ignore la réaction des disciples à ce propos, mais le lecteur est gêné. Que vient faire ici la gloire de Dieu et celle du Fils ? Que signifie cette minimisation de la gravité du mal ? Le malentendu se renforce lorsque Jésus parle de sommeil à propos de la mort de Lazare ; les disciples comprennent alors que Lazare se repose et qu’il va certainement guérir. Mais Jésus précise aussitôt après que Lazare est bien mort... et qu’il se réjouit que cette mort ait eu lieu en son absence : « Je me réjouis de ce que je n’étais pas là » [15]. Le propos de Jésus se réjouissant de n’avoir pas assisté son ami au moment de sa mort peut-il ne pas être ressenti en apparence comme cynique, voire scandaleux ?

D’autant plus que l’annonce de la mort de Lazare contredit l’affirmation première de Jésus que cette maladie n’entraîne pas la mort. S’agit-il donc d’une « erreur de diagnostic » ? d’un déni stratégique ? ou pire, de non-assistance à personne en danger ? C’est d’ailleurs ce que lui reprocheront plus tard, l’une après l’autre, les deux sœurs :

« Seigneur, si tu avais été là mon frère ne serait pas mort » (v. 21 et v. 32). Et dans le prolongement de ce reproche, résonne aussi le murmure des Judéens, venus accompagner Marie au tombeau de son frère, manifestant leur incompréhension mais aussi leur soif de miracles devant l’inaction de Jésus : [37] « Et quelques-uns d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point ? ». Ce type d’interrogations nous est familier depuis que les nouvelles rendent compte chaque jour du progrès de l’épidémie qui menace le monde.

Autre ambiguïté du récit, qui contraste fortement avec l’apparente indifférence de Jésus, face à la mort de son ami : sa vive émotion plusieurs fois rapportée. La première fois, c’est devant les pleurs de Marie : [33] « Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient venus avec elle, frémit en son esprit et fut tout ému... » [35] « Jésus pleura » ; [38] « Jésus, frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au sépulcre... ».

Ces pleurs sont bien entendu susceptibles de différentes interprétations et il est difficile de n’en donner qu’une qui soit la bonne. La disparition d’un être cher, la douleur des proches, sont des éléments qui dénoncent éloquemment le tragique de la condition du vivant, soumis à la mort, l’essentielle fragilité du miracle de la vie telle que l’évoque L’Ecclésiaste : un virus minuscule nous le démontre chaque jour violemment. Le Christ entre en communion avec les hommes, marqués par cette finitude qui les fait disparaître du jour du lendemain et apporte la désolation parmi leurs proches. Son amitié et son regret de Lazare éclatent au grand jour : [36] Sur quoi les Juifs dirent : « Voyez comme il l’aimait ! »

Nous avons vu aussi que ce texte marque le terme du ministère terrestre de Jésus et une anticipation de la Passion. Jésus revêt entièrement les précarités de la condition humaine. Il est permis de penser que son trouble est l’effet de la prise de conscience de ce qu’il embrasse, de sa préscience de ce qu’il aura à affronter. Plus tard, dans le jardin de Gethsémané, il connaîtra l'angoisse et même la tentation de se soustraire au sacrifice qui l’attend.

Enfin Jésus est sans doute troublé de voir, malgré tous les signes qu’il a donnés, que les hommes ont tant de mal à croire. Il ne veut plus passer pour un simple magicien, comme il y en a tant. D’ailleurs Jean ne veut pas parler ici de miracle.

Pourtant le personnage essentiel de ce récit, n’est aucun de ceux que nous avons évoqués. Un personnage reste invisible mais il est omniprésent dans le discours : c’est Dieu. À plusieurs reprises en effet il est question de la « gloire de Dieu » versets 4, 22, 27, 40, 41, 42.

Dieu se manifeste ici à travers son Fils, et la résurrection de Lazare est surtout une mise en scène de la gloire de Dieu. Jésus le souligne sans cesse et son apparente indifférence à la mort de son ami prend ici un tout autre sens. La gloire de Dieu a pour antithèse la putréfaction (Lazare a été mis au tombeau parce qu’il « sent déjà »). Elle ne peut être comprise sans l’horreur de la mort du corps. En effet l’Évangile de Jean est théologique : il évoque une spiritualité incarnée. Depuis le prologue, particulièrement saisissant, il inscrit la Parole dans le corps : Jean I, v. 14 et sq « Et la Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père... » Ainsi, lorsque Jean écrit que « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), il veut dire qu’il s’est fait pleinement homme, jusqu’à prendre un corps capable de souffrir et même de mourir.

Et si cet évangile revêt une dimension de contestation, de conflit, c’est pour faire entendre ce point de vue différent des autres. Une lecture théologique et christologique développe ce de quoi Jésus est le signe. Jean ne se contente pas de rapporter une nième action de la grâce, mais introduit une réflexion d’un autre ordre : D’où vient la foi, qu’est- ce que la foi ? Comment croire ?

Le dialogue sur la foi entre Marthe et Jésus, souligne un nouveau malentendu. Ainsi, au v. 22, Marthe adoucit son reproche à Jésus de ne pas avoir été là pour empêcher Lazare de mourir : « Mais maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » « Je sais que mon frère ressuscitera à la résurrection, au dernier jour ». Et sa profession de foi, semblable à celle de Pierre, est magnifique : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde. » Mais si cette profession de foi est conforme au dogme (Marthe a reçu une formation juive), elle ne sort pas de l’eschatologie hébraïque. Car le salut est pour Marthe un évènement de la fin des temps, tandis que Jésus lui signifie que le salut se vit au présent « Je SUIS la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort, [26] Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Je SUIS est le verbe désignant Dieu dans l’A.T.) L’évangile de Jean est parcouru par l’opposition ombre et lumière et par la nécessité de croire. Ce verbe et son champ lexical est omniprésent dans l’épisode (9 occurrences), associé à l’idée de lumière et de gloire.

Au centre du récit et habilement préparé par la mise en scène, retentit l’appel puissant : « Lazare ! Sors ! ».

La résurrection de Lazare n’en est pas une à proprement parler. Lazare est appelé à mourir à nouveau et il est ici momentanément ranimé, réveillé, on serait tenté de dire, comme tant d’autres le sont aujourd’hui, dans son corps mortel. Dans son invocation à Dieu, Jésus fait plutôt de ce « miracle » un « certificat de filiation » un certificat que les messages qu’il délivre émanent bien de Dieu : [41] « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. [42] Pour moi, je savais que tu m’exauces toujours ; mais j’ai parlé à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »

Du reste, il n’est fait ensuite aucun commentaire sur les réjouissances qui accueillent le retour de Lazare à la vie, ce qui montre que l’évènement n’est pas l’essentiel du message, même s’il frappe l’imaginaire parce qu’il paraît conjurer notre finitude et qu’il couronne notre désir d’éternité. Le texte, comme celui d’Ézéchiel, développe surtout un champ lexical de la libération qui s’exprime par l’idée du déplacement « aller vers », « se lever », « sortir »... C’est un appel lancé pour faire sortir d’une compréhension étriquée et dogmatique de la parole ; un appel dirigé en direction de chaque personne de l’assistance, mais aussi en direction de chacun d’entre nous.

De même, Jésus répond à l’appel qui s’adresse à lui : il sort de sa retraite d’au-delà du Jourdain où il se trouvait en sécurité, et se déplace en Judée où on l’attend pour le faire mourir et se dirige, sciemment, vers sa Passion. Une figure du déplacement est évoquée par le propos énigmatique des versets 9 et 10. Les risques sont évoqués mais aussi la sortie de ces risques « Si quelqu’un marche de jour...il voit la lumière de ce monde. » Une sortie par le haut, parce que la lumière seule est le but. Et le but du récit est de mettre de la lumière en chaque lecteur.

Cet épisode veut faire comprendre la nécessité de sortir de situations mortifères, telles celle que nous vivons collectivement en ce moment : l’égoïsme vis-à-vis du plus grand nombre consisterait à se laisser abattre par l’angoisse de notre finitude, à vivre dans le déni ou à se replier sur soi.

Mais où se situe « la gloire de Dieu » qui s’oppose à l’idée de mort dans cet épisode émouvant comme dans notre quotidien éprouvant ?

Le texte suggère que le tombeau est pour ceux qui ne voient que le dogme, en face duquel Jésus laisse apercevoir un espace de lumière, un espace de vie : la gloire de Dieu.

Le texte s’inscrit en faux contre une conception grandiose de ce qu’on s’imagine être « la gloire de Dieu » : apparitions célestes, chérubins, vingt-quatre vieillards, créatures symboliques. Cette gloire se donne à entendre dans la parole de Jésus (v. 4 à 40) : « crois » = fais confiance. La « gloire de Dieu » est une affaire de confiance et de libération. La Parole donne l’ordre de sortir (cf. l’Exode) de la surdité, de l’aveuglement, de l’enfermement. Dans nos relations les plus difficiles avec le monde, avec les autres, n’omettons pas qu’un autre est là, en Jésus-Christ. Peut-être la lumière vient-elle en nous de notre écoute et de notre réponse à un appel individuel : « me voici ! »

Le reproche de Marthe repris par Marie est compréhensible « Si tu avais été là... » Mais le texte prend en charge ce reproche. Il est impossible de faire l’économie de la mort qui fait partie intégrante de la vie telle qu’elle est. Pas même Jésus, dans la mesure où il est le Verbe incarné. Ce « reproche », du reste, est aussi paradoxalement un acte de foi : toutes les forces de mort, les forces négatives qui alourdissent nos vies, se feraient-elles si pesamment sentir si Jésus était réellement présent dans nos vies ?

La vie et la mort constituent notre condition et Lazare symbolise ici le lecteur.

La dimension narrative et poétique du texte essaie de nous faire voir et entendre des choses que nous n’entendons ni ne voyons. «Se lever», «sortir» sont autant d’injonction à rejoindre Jésus, à ne pas marcher au tombeau. Marthe répondait à partir de son « catéchisme ». Jésus veut la faire se déplacer : « Je suis la résurrection et la vie ».

L’Évangile de Jean, mais aussi la Bible en général, mettent du jeu entre le dogme et autre chose : la vie pleine et entière, donnée par Jésus : « Je suis le chemin » (de la libération). Cette libération nous amène aussi à l’intercession, à savoir ce qui est à faire pour assister les plus fragiles. Faire l’apprentissage d’un certain nombre de renoncements. Partager... quel que soit l’objet du partage.

Amen

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