L’amour, plus fort que la mort
10 novembre 2019

L’amour, plus fort que la mort

Prédicateur:
Passage: Luc 20:27-38 et 2 Maccabées 7:1-14
Type De Service:

Chers frères et sœurs,

La Toussaint n’est pas loin. Les textes proposés pour ce dimanche sont encore en lien avec cette journée du souvenir de nos morts.

Comme tout monde, croyants et même non-croyants, nous ne pouvons pas ne pas nous poser cette question : où sont les personnes que nous avons aimées et qui nous ont quittées ?

Les textes proposés peuvent nous apporter des éléments de réponse.

Je propose une lecture complémentaire à celle de l’Evangile de Luc.

Il se trouve dans un livre que nous n’avons pas l’habitude de lire celui des Maccabées.  Un texte dit deutérocanonique peut aussi nous édifier.

Vous le savez, les textes du jour sont communs aux catholiques et aux protestants. Ils sont donc en principe identiques. Mais pas toujours. C’est le cas aujourd’hui. Si le texte de Luc est commun, celui du 2ième livre des Machabées proposé par les catholiques remplace un texte du livre de Daniel proposé par les protestants. J’ai retenu celui de Maccabées, qui me semble apporter des prises de positions intéressantes et caractéristiques de cette époque-là.

 

Je lis donc quelques versets de ce passage : 2 Maccabées 7 : 1-14. Je saute quelques versets, particulièrement cruels, pour ne garder que ce qui est en rapport avec notre thème.

 

Il faut dire quelques mots de ce livre, avant d’entrer dans nos deux textes.

 

Il y a en fait 2 livres des Maccabées qui figurent dans la Bible catholique et qui ne se trouvent pas dans nos bibles (sauf la TOB.) Ce sont des écrits tardifs, comme aussi celui du livre de Daniel.  On peut les dater avec précision autour des années 165 avant JC.

Ils nous rapportent les grandes difficultés rencontrées par les juifs de l’époque, sous le pouvoir grec en Orient, pouvoir qui a remplacé celui des Perses à partir de 333 avant JC. Des persécutions terribles ont eu lieu, surtout après la séparation en deux régions de l’empire grec, l’une basée à Alexandrie, donc en Egypte, et l’autre à Antioche en Syrie, dont dépendait la Judée.

 

Notre récit se passe sous Antiocus Epiphane entre 170 et 164 avant JC.  Antiocus voulait helléniser la Judée par la force et il a rencontré une très forte résistance juive dont celle de la famille ‘’Maccabées’’, celle de notre récit. Le mot Maccabées est le nom de famille de cette mère et de ses 7 fils et c’est celui donné aux livres.

La colère grondait déjà depuis un moment, mais la profanation du Temple de Jérusalem a été l’élément de trop pour les juifs pieux. Une révolte s’est organisée qui a été matée très violemment par les autorités séleucides sous Antiocus Epiphane.

Voilà donc pour situer ce texte.

Encore une précision de l’histoire, : Antiocus est mort en – 164 en tombant de cheval alors qu’il était en route pour reprendre à nouveau le combat contre la révolte en Judée, révolte dirigée par un certain Judas Maccabée, donc encore une personne de la même famille que celle des 7 frères martyrs. La branche des Maccabées va finir par obtenir gain de cause après la mort d’Antiocus.

 

 

 

Notre texte 2 Maccabées ch 7 : 1-14

 

C’est l’histoire d’une famille : 7 frères et leur mère. On oblige les frères, sous la torture, en présence de leur mère, à manger de la viande de porc. Mais, ils refusent tous les sept et préfèrent mourir plutôt que de désobéir à la loi juive. Le récit est particulièrement cruel.

Ce qui nous intéresse tout spécialement ce matin, c’est la question de l’espérance de la résurrection qui est proclamée, ici, par ces jeunes gens, qui vont tous les sept subir le martyr.

Cela peut nous surprendre. Mais, la résurrection, telle que nous la comprenons aujourd’hui, n’a pas été une croyance ancestrale parmi les juifs de l’époque. Pour eux, les morts descendent au séjour des morts, le Shéol, et ils vivent, en quelque sorte, leur vie de mort dans ce lieu, peu sympathique.

L’idée qui prévaut est celle d’une forme de justice immanente de Dieu. Tout se passe ici-bas, dans cette vie. Dieu punit et bénit les humains durant leur vie terrestre selon leur mérite. La souffrance est vécue comme une punition méritée, infligée par Dieu.

Mais, voilà que cette terrible persécution d’Antiocus, soulève de graves questions nouvelles. Comment Dieu va-t-il rendre justice à tous ces jeunes gens morts courageusement en martyr à cause de leur fidélité à Dieu ?

La théologie traditionnelle de la rétribution ne fonctionne plus. Une solution apparaît alors, c’est celle de la résurrection. C’est celle que nous retrouvons dans les livres de Maccabées et de Daniel.

C’est une véritable révolution pour les Juifs d’évoquer pour la première fois une résurrection individuelle, par une sortie du Shéol, et pour une vie heureuse auprès de Dieu.

C’est donc une idée tardive, qui permet de rendre justice à ces martyrs, mais seulement très partiellement acceptée, comme nous le verrons dans le deuxième texte, celui de Luc, qui montre que l’élite juive ne croyait pas à la résurrection, même au temps de Jésus.

Pour l’auteur de notre texte, c’est clair, il fait dire à ces jeunes gens qui vont mourir, qu’ils ressusciteront.

L’un des frères dira au Roi Antiocus, parlant de lui et de ses frères :

« Le Roi du monde nous ressuscitera pour la vie éternelle »

Non seulement il affirme sa foi en la résurrection, c’est-à-dire d’une sortie du Shéol, où vivent les morts, mais il croit à la vie éternelle heureuse avec Dieu.

Un autre ajoute une information complémentaire, alors qu’on lui coupe des membres, il dit :

« C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver »

Il confirme la croyance en la résurrection, déjà affirmée par son frère, mais il croit qu’elle sera corporelle, pas seulement la résurrection de l’âme, mais aussi du corps, et en plus, son corps mutilé sera à nouveau tout entier.

Le dernier frère va confirmer la même espérance :

« Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu »

Donc, au moment d’écrire ce livre, au 2ième siècle avant JC, il y avait bien un courant au sein du judaïsme qui affirmait clairement la résurrection des morts, même si ce courant restait contesté et cela, encore au temps de Jésus, comme nous le voyons dans le texte de Luc.

 

Le texte de Luc 20 :27-38

 

Ce texte, à quelques détails près, se retrouve à l’identique dans les deux autres évangiles synoptiques, celui de Marc (ch 12,18-27) et celui de Matthieu (ch. 23, 23-33).

C’est donc une affirmation très forte et répétée de la résurrection de la part de Jésus lui-même.

La question, ou plus exactement le cas d’école qui va être exposé à Jésus, par les sadducéens, prend appui sur un texte de la loi du Lévitique.  Mais, la manière d’exposer le cas montre d’emblée le piège tendu.

Il faut dire un mot de ce courant religieux au sein du judaïsme pour bien comprendre qui étaient ces sadducéens. Ils étaient, ce qu’on peut appeler, l’aristocratie sacerdotale. On dirait aujourd’hui qu’ils étaient les « patrons » du judaïsme à Jérusalem.

Tout le judaïsme, depuis le roi Josias, tournait autour du temple de Jérusalem, avec une triple affirmation : un Dieu unique, un Temple unique et un lieu unique pour les sacrifices.

C’e n’est donc pas n’importe qui qui s’adresse à Jésus, car il s’agit de ceux qui ont autorité sur le judaïsme.

Ils s’opposaient sur certains points aux pharisiens, qui eux n’étaient pas en charge du Temple de Jérusalem mais s’occupaient des synagogues dans les villes qui comportaient une population juive.

En Galilée, Jésus était surtout en contact avec les pharisiens et prenait la parole dans les synagogues. Ces pharisiens, contrairement aux sadducéens, eux, croyaient à la résurrection. Ils avaient intégré, dans leur théologie, les changements apparus progressivement à l’occasion des événements que nous avons évoqués.

Vous avez noté que les Sadducéens ne viennent pas voir Jésus parce qu’ils veulent savoir. Non, eux ils savent : Il n’y a pas de résurrection. Dans le cas qu’ils exposent, c’’est encore une histoire de 7 frères. Une histoire tout de même assez invraisemblable, volontairement, pour bien montrer le côté ridicule de cette croyance en la résurrection. Ils étaient sûrs de leur coup.

Et comment Jésus va-t-il s’en tirer ?

Il s’appuie sur deux types d’arguments :

  • La puissance de Dieu et le mode de vie des ressuscités.
  • Le fait que Dieu est le Dieu des vivants et non des morts.

 

Pour le premier argument, (je cite Marc) Jésus leur dit : « Vous vous trompez sur la puissance de Dieu et sur les Ecritures ». La résurrection montre la puissance de Dieu. Elle échappe à notre compréhension humaine. Et il précise que le mode de vie sera bien différent. La vie dans l’au-delà est éternelle. La question de la reproduction, au sens terrestre, ne se pose plus puisqu’ on ne meurt plus et qu’on ne se reproduit plus non plus.

Je relis le texte de Luc :

« …ceux qui prennent part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection »

La question des sadducéens est d’emblée hors-jeu.

Ensuite, Jésus retourne l’argument scripturaire de ses adversaires contre eux, En quelque sorte, il leur dit « Vous vous référez à Moïse, soit. Moi aussi »

Quand Dieu se fait connaitre à Moïse dans le buisson ardent, il lui dit (Je cite à nouveau le texte de Marc, (12, 26) plus explicite) :

« Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob… »

C’est Dieu lui-même qui le dit en parlant des patriarches disparus. Si ces patriarches étaient morts définitivement, si on peut dire, comment Dieu aurait-il pu s’exprimer ainsi ?

« Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob… »

Ce « Je suis » est très fort. Il ne dit pas : j’étais le Dieu d’Abraham…lorsqu’il était encore sur terre.  « Je suis » indique la permanence.   Ce « Je suis » ne peut donc pas s’arrêter à la mort, mais il la traverse.

 

Et encore mieux, le fait de nommer individuellement Abraham, Isaac, Jacob, morts tous les 3, indique qu’ils restent bien des personnes différenciées, avec leur spécificité, avec leur nom qui les individualisent.

Ce qui nous fait penser à ce beau verset d’Es 49 : 16, où Dieu dit :

« Voici, sur mes paumes, j’ai gravé ton nom … »

 

La résurrection n’est donc pas un devenir plus ou moins anonyme au milieu d’un foule anonyme, mais une vie qui se prolonge, autrement certes, mais une vie toujours singulière.

Aucune raison de penser que nous ne reconnaîtrons pas nos bien-aimés.

Cela me fait penser à une boutade d’un rabbin qui raconte l’histoire d’un juif pieux, nommé Moshé, qui meurt et qui se présente devant Dieu. Dieu lui pose une seule question : « Moshé, as-tu bien été Moshé ? »

 

Que conclure ?

En tant que chrétiens, nous croyons, bien sûr, à la résurrection du Christ et à notre propre résurrection.  Mais, peut-être n’avons-nous pas toujours suffisamment pris conscience de la profondeur d’une telle espérance. C’est proprement inouï.

Du temps de Jésus, les philosophes enseignaient que pour « bien vivre », il ne fallait pas trop s’attacher aux personnes pour ne pas souffrir lors de la perte de l’objet d’amour.

Le philosophe Luc Ferry, parlant de l’espérance chrétienne, dit qu’il n’y a pas mieux que l’espérance de la résurrection des corps et celle des retrouvailles avec les personnes aimées, mais il ajoute qu’il y un prix à payer : il faut avoir la foi. Et pour lui, c’est tellement beau qu’il ne peut y croire.

Pour nous, c’est bien notre espérance, croire à « la mort de la mort » au sens fort de ces mots. C’est difficile. En effet, une telle affirmation nous semble tellement contre-intuitive, elle va contre tout ce que nous constatons au quotidien. Les gens autour de nous meurent. Nos proches nous quittent. Dans le langage populaire on dit « j’ai perdu un être cher » en parlant d’un deuil.

La mort reste toujours cruelle. La mort est même la chose la plus sûre de notre vie.

 

Mais voilà, de nombreux textes des Evangiles nous invitent à saisir pleinement cette vérité, socle de la foi évangélique : le triomphe de la vie sur la mort.

Et, en plus des textes des Evangiles et des paroles de Jésus, et contre toute attente des proches de Jésus, Dieu va relever Jésus de la mort. Il apparaîtra physiquement aux siens qui ont bien du mal à comprendre ce qui se passe. C’est tellement incroyable, tellement incompréhensible.

Dieu confirme ainsi, de manière extraordinaire, que la mort n’a pas le dernier mot. Jésus avait déjà dit avant : « Je suis la résurrection et la vie… »

L’amour de Dieu, premier et inconditionnel, traverse la mort. L’Evangile nous invite à entrer dans cet ‘’Amour de Dieu pour nous’’, amour qui ne peut prendre fin, donc nous non plus car : « Dieu est le Dieu des vivant, pas des morts. Paul posera plus tard la question : « Mort où est ta victoire… ? »

Croire que nous allons retrouver ceux que nous avons aimés et qui ne sont plus là, les retrouver et les reconnaître, c’est vraiment heureux. Ça change nos vies de mortels, pas seulement dans un autre monde, mais déjà dans cette vie sur terre.

L’Evangile est, et reste, bien une Bonne Nouvelle : l’amour est plus fort que la mort

Que nous puissions rester ancrés solidement dans cette espérance, quel que soit notre avenir et les adversités de la vie, en faisant nôtre ce credo de PAUL :

« Car j'ai l'assurance que, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ »

Amen

Louis Peterschmitt, le 10 novembre 2019

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