Jésus au désert
Amis, frères et sœurs,
Jean est le seul des quatre évangélistes à ne pas évoquer l’épisode de Jésus au désert. Si Mathieu évoque des détails c’est que, sans doute, Jésus en a raconté à ses disciples. Mais aussi il tient à ce que ses lecteurs voient les prophéties de la venue d’un Messie s’accomplir.
Du récit de Mathieu ressort l’expérience fondatrice de Jésus pour sa mission. « Mais je vous dis à vous qui m’écoutez ».
Qui est Jésus à ce moment-là ? Il a été charpentier, sciant, râpant, maniant poutres et planches. Aujourd’hui, on le verrait très bien reprendre l’affaire paternelle. Et, même, en tant que fils aîné, aider sa mère à élever ses frères et sœurs. Or rien de tout cela n’arrivera : il va renoncer à la sécurité, aux habitudes et traditions.
Il a reçu une éducation conforme à la loi juive. Il a été circoncis, présenté au temple. A 12 ans, il s’est entretenu avec les prêtres : ses réponses à Satan montreront sa connaissance de la Torah. Rien ne nous est dit de sa réflexion en amont, sauf qu’il grandit en sagesse. En le baptisant, Jean-Baptiste l’intègre officiellement à la communauté juive.
Il devait déjà avoir un certain rayonnement à en croire son parent, Jean le Baptiseur : « Celui qui vient est plus puissant que moi, je ne suis pas digne de délacer ses sandales ». Jean se considère donc moins qu’un esclave. Il demande donc à Jésus de le baptiser lui et non le contraire.
Nous ne savons rien de ce que Jésus pense sur sa mission ; il connaît sûrement la prophétie d’Ésaïe le concernant et peut-être ce que l’ange a annoncé à Marie.
Le mot désert évoque pour nous l’abandon, la solitude (désert médical, rues désertées à Wu Han à cause du coronavirus). Géographiquement parlant, le désert n’est pas seulement du sable ou des roches érodées par le vent, des oueds à sec comme j’ai vu au Sinaï. Pour nous touristes, rien n’est comme d’habitude ; nous sommes coupés de notre iphone, de notre profession, des foules. C’est le silence ; la nuit, les étoiles, la voie lactée, aucun vrombissement d’avion ; alors à quoi pense-t-on ? Si Théodore Monod, le théologien, écrit dans son livre, Méharées, avoir souffert au désert de la chaleur et du manque d’ombre, les Bédouins qui l’accompagnent marchent, eux, avec un but, le puits. Alors pour Monod, le désert se situe entre le lieu d‘où l’on vient et celui où l’on va. Cela peut résumer l’expérience de Jésus au désert.
De l’eau du Jourdain, voilà Jésus entraîné par l‘Esprit au désert ; pour les Hébreux un lieu horrible, « grand et redoutable, pays des serpents brûlants, des scorpions et de la soif où il n’y a pas d’eau » comme le décrit le Deutéronome. : 8 / 16.
Voilà pour le décor. Le combat de Jésus contre Satan s’est fait en trois actes.
Acte I - Jeûner
Comme le demande la loi juive, Jésus commence par jeûner 40 jours et 40 nuits. N’oublions pas qu’en ce moment nos frères catholiques commencent 40 jours de carême. Et qu’après l’été les musulmans vivront le ramadan d’un mois.
Le nombre 40 revient souvent dans les Écritures. 40 ans d’exode dans le désert ; Moïse disparaîtra 40 jours, au bout desquels il recevra les 10 commandements. Ce nombre 40 représente le temps qu’il faut pour se préparer, se purifier pour la suite. C’est ce qu’a vécu une étudiante mise en quarantaine à cause du coronavirus : ‘Cette tragédie, mortelle pour WuHan, nous impose un repli sur nous-mêmes, une sorte d’introspection personnelle, positive’ . En fait, le temps ne compte pas, n’est pas compté.
Le résultat compte.
Acte II - Arrive Satan
Le théologien anglais Barclay explique que Satan est un ange déchu, « celui qui cherche, qui peut être jugé par Dieu », il est accusateur devant Dieu, adversaire de l’homme.
Comment s’y prend Satan ? En trois étapes
1e scène – D’abord en s’adressant à l’affamé, à l’être humain Jésus dans son besoin vital. « Si tu es le fils de Dieu, transforme ces pierres en pain » Il lui rappelle qu’il est le fils bien aimé de Dieu, parole de Dieu lors du baptême.
Jésus répond : « L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.»
C’est déjà la base du ministère de Jésus qui rappelle un verset du Deutéronome. 29 / 4 : « Je vous ai conduits quarante ans dans le désert, vous n’avez pas mangé de pain ni bu vin ou boisson alcoolisée afin que vous sachiez que je suis le Seigneur votre Dieu. »
2e scène – Au cœur de Jérusalem, sur le toit du temple, ce bâtiment sacré, centre de la patrie donnée par Dieu et, donc, de la foi juive. Satan propose un pari à Jésus, éprouver son père : « Si tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas ». Et il cite le psaume 61 : « Il donnera à ses anges ...qui te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Autrement dit, risque ta vie pour voir si Dieu est si fidèle et puissant que cela.
A cette citation du psaume 61 sur le secours divin, Jésus répond en citant un autre psaume : « Tu ne provoqueras pas le Seigneur ton Dieu. »
Notons que Jésus risquera sa vie 3 ans durant, notamment devant les scribes et les pharisiens, mais il ne reniera pas Dieu, son père.
Le pasteur A. Nouïs écrit : « Il aurait pu être légaliste, s’en tenir à la loi juive stricte... Mais elle serait vidée de substance, car Dieu n’y est plus »
3e scène – Enfin, Satan mène Jésus sur une haute montagne, lieu sacré pour les Juifs, et aussi pour d’autres civilisations (l’Olympe, Machu Pichu, l’Everest) ; on y est plus près du ciel, donc de Dieu ou de forces surnaturelles. De là, on domine les pays alentours et leur gloire. Satan s’attaque-t-il à l’engagement de Jésus envers Dieu ? Ou à son éventuelle hésitation à prendre un pouvoir politique et ainsi délivrer son peuple occupé par les Romains ? Pourquoi pas ? Je te donnerai ce pouvoir, mais à une condition ; adore-moi.
Jésus affirme à nouveau que Dieu est son maître, avec les mots du Deutéronome : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras et c’est à lui seul que tu rendras un culte ».
Pour le pasteur Nouïs : « Être fils de Dieu est une exigence, et non un privilège. Il sert un seul Dieu, le seul Dieu. Il sera serviteur ».
Acte III - Où ce combat va-t-il mener Jésus ?
Humainement, Jésus avait besoin de temps pour accepter sa mission et découvrir ses exigences, ses dimensions et ses impératifs. Matthieu ne dit pas si Dieu l’absout ou le félicite.
Désormais, pour Jésus, c’est l’Amour de Dieu son Père qui prime sur toute autre motivation. C’est pourquoi il maintiendra le contact avec Dieu, se retirant parfois pour prier seul, avant l’aube - au point qu’on ne saura où le trouver - pour faire le point, confier ses doutes ou ses questions. Deux exemples montrent qu’il traversera encore des déserts. Au jardin des Oliviers, il se dira triste jusqu’à la mort et demandera à son père de lui éviter le supplice, mais se corrigera immédiatement « Non pas ce que je veux mais ce que tu veux ». ; Souffrant sur la croix il aura un cri de douleur : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Il a engagé toute sa vie et très vite passe à l’action ; il se rend dans sa région d’origine et recrute son équipe.
Épilogue, 3 ans plus tard, Sa mort cruelle sera un choc terrible pour ses disciples. Sa résurrection en sera aussi un, mais cette fois d’une toute autre nature ; Jésus est vivant, il les a visités, accompagnés ; il leur a donné du temps, 40 jours, pour surmonter l’arrachement physique à leur maître et réfléchir en leur âme et leur cœur. Les voilà prêts à recevoir le Saint Esprit ; ce sera la Pentecôte. 2000 ans plus tard nous bénéficions encore de cet Esprit.
Conclusion. Quel sens a ce texte pour nous ?
Dans nos vies dispersées nous avons besoin de nous retrouver nous-mêmes, de prier. Qu’est-ce que je crois vraiment ? Où sont les freins à ma foi ?
Les traversées du désert abondent : je ne cite ici que des exemples pris dans notre civilisation occidentale mais d’autres civilisations en ont aussi. Pensons à Charles de Foucault. Pensons au jésuite Paolo Dall Oglio créateur d’un centre interreligieux, à Mar Moussa au désert de Syrie : il a été enlevé et a disparu depuis trois ans. Pensons encore à l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt. Toujours en recherche de foi même dans sa vie qu’il décrit comme désordonnée, il raconte dans La Nuit de feu sa vision de l’amour de Dieu alors qu’il s’était perdu en plein désert en croyant savoir comment rejoindre son campement ; depuis, son œuvre, en a été imprégnée.
Chacun de nous a un appel qui, parfois, nous a mené et nous mènera peut-être encore au désert : vie familiale, professionnelle, associative. Pour continuer notre route nous pouvons demander conseil à un proche ; mais nous restons seuls à faire des choix, même au sein d’un groupe. Ces moments de questionnement, d’hésitation devant le prix de notre appel sont des déserts.
A nous de laisser Dieu pardonner nos tentations. Alors notre route et son but se précisera, préférable à celle que nous abandonnerons. Même si nous ne reconnaîtrons que plus tard que c’était la route juste. L’important c’est de persévérer en osant faire confiance à Dieu à qui nous avons confié notre existence. C’est ce que je vous souhaite.
Amen
Evelyne Sydoux, le 1er mars 2020.