La Question du Mal – Mars 2019
Le refus de la culpabilité héréditaire : restitution des discussions du Groupe « Aux Sources de la Foi » lors de la rencontre du 12 mars 2019 – Autour du chapitre 5 (p 97-126) du livre Jean Delumeau intitulé « « Guetter l’aurore »
Jean Delumeau, dans son livre intitulé « Guetter l’aurore », paru en 2003, et sous-titré « Un christianisme pour demain », pose la question : est-ce que le christianisme va survivre ? Son espoir repose sur l’abandon de ce qui est insoutenable.
Dans le chapitre 5 intitulé ‘’Le refus de la culpabilité héréditaire’’, il souligne qu’une lecture trop littérale des premiers chapitres de la Genèse a conduit à des compréhensions difficilement recevables de nos jours.
C’est vrai pour le récit de la création en 6 jours, qui se heurte aux connaissances scientifiques actuelles. Heureusement dans ce domaine la théologie chrétienne a beaucoup évolué. En revanche, la lecture du récit du jardin d’Eden et du péché originel, avec ses conséquences, reste encore souvent très marquée par de grandes ambiguïtés.
Est-il possible de lire ces récits comme des ‘’paraboles ’’ ?. On ne demande pas aux paraboles des Évangiles d’être des récits historiques pour leur accorder leur valeur.
Même si des ouvertures, surtout depuis Vatican II, sont intervenues dans la manière de recevoir ces textes, il reste encore du chemin à parcourir pour éviter les contradictions au sein même du message chrétien.
« On ne demande pas aux paraboles des Évangiles d’être des récits historiques pour leur accorder leur valeur »
Du côté catholique
Dans le catéchisme de l’Eglise catholique de 1992, donc postérieur à Vatican II, on peut encore lire :
« Le récit de la chute (Gen 3) utilise un langage imagé mais il affirme un événement historique, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme. La Révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents…créés dans un état de sainteté… A cause de l’homme, la création est soumise à la servitude de la corruption…La mort fait son entrée dans l’histoire de l’humanité »
Certes, l’idée d’un ‘’langage imagé’ est acceptée, mais ensuite certaines affirmations restent encore proches des celles du concile de Trente et sont donc difficilement recevables.
Extrait du concile de Trente :
« Aussitôt qu’Adam eut transgressé l’ordre divin, il perdit sa sainteté et sa justice première, encourut l’indignation et la colère de Dieu et fut soumis à la mort et à la captivité sous le pouvoir de celui qui a reçu pouvoir sur la mort, c’est-à-dire le diable »
Ces textes affirment que la désobéissance d’Adam et d’Eve a une dimension cosmique, elle a entraîné la mort, la déchéance, la corruption de toute la création.
Du côté protestant
La Réforme maintient le côté historique du récit biblique de la Genèse, notamment concernant le péché originel et, même, elle noircit encore un peu plus la gravité de la faute.
Pour Luther : « le libre arbitre après la chute n’est plus qu’un nom…. Il faut parler de serf arbitre… en faisant ce qu’il peut, l’homme pèche mortellement. »
Il dira aussi que « depuis la chute, l’homme est un cheval boiteux qui boitera de plus en plus ».
Calvin va dans le même sens : « l’homme est désormais (depuis la chute) serf du péché… son esprit et tellement aliéné de la justice de Dieu qu’il ne connaît, ne convoite, n’entreprend rien qui ne soit méchant, pervers, inique et souillé »
Comment changer les choses ?
Delumeau affirme que les Eglises chrétiennes ont besoin de faire leur aggiornamento dans trois domaines en rapport avec le péché originel :
- L’énormité prétendue de la faute première.
- La condamnation à mort.
- La culpabilité héréditaire qui en aurait résulté.
L’humanité a émergé progressivement au cours de plusieurs millions d’années. Les découvertes archéologiques l’attestent amplement. Teilhard de Chardin, théologien et scientifique reconnu, affirme qu’il n’existe « pas le moindre vestige à l’horizon, pas la moindre cicatrice indiquant les ruines d’un âge d’or » Il faut donc abandonner le fantasme d’un paradis perdu.
La mort, quant à elle, est un fait biologique et non une punition. Elle est présente dans le cosmos et sur terre bien avant que n’apparaissent les premiers humains. Le destin de tout vivant est de mourir. La mort est dans la nature des choses pour tout être vivant de tout temps. La cause de la mort n’est donc pas liée à l’humanité.
La notion de péché originel est absente des Evangiles, ainsi que du symbole des Apôtres et de celui de Nicée. L’expression a été créée tardivement par St Augustin.
C’est l’apôtre Paul, qui a fait un parallèle entre premier et second Adam, sans que ce rapprochement soit encore trop dramatique au départ, mais il contenait en germe ce qui deviendra une doctrine du péché originel, théorisée au 11ième siècle par St Anselme, archevêque de Cantorbéry
« La mort (…) est un fait biologique et non une punition »
Alors comment lire le récit du péché des origines ?
La notion de péché originel enseignée depuis St Augustin et jusqu’à notre époque, implique la notion de culpabilité héréditaire qui, pourtant, ne se retrouve pas dans les Évangiles.
Quand Jésus remet des péchés, il s’agit de péchés personnels. Et à la question des disciples concernant la culpabilité de l’aveugle de naissance ou de ses parents (Jean 9), Jésus répond : « ni lui ni ses parents »
Le bien, comme le mal, sont déjà là quand l’humanité apparaît, ils nous précèdent. On ne peut plus lire, aujourd’hui, les textes de la Genèse comme des textes historiques au sens fort de ce mot.
La vérité historique est que l’humanité n’a pas commencé par des êtres parfaits, puis déchus.
La Genèse est une magnifique parabole qui annonce l’avenir que Dieu a conçu pour l’humanité. Celle-ci est placée sur un chemin difficile, qu’il lui faudra parcourir, avant d’atteindre le but.
C’est une promesse eschatologique et non un passé historique qui nous est proposée.
L’interprétation du péché originel a donné lieu à un véritable contresens.
Mais cette affirmation pose question : que veut alors dire le mot Rédemption ?
Et que peut signifier l’affirmation « Christ est mort pour nous »
Nous essayerons de répondre à ces questions lors de notre rencontre d’Avril.
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