« Un peu d’eau sur son front »
Mes chers Cousins, frères et sœurs, chers Amis,
Nous venons de poser à nouveau un geste de confiance et d’espérance, sur le front de votre fils Eliott. Un peu d’eau sur son front. Un geste dérisoire, un geste minimal, pour une aussi grande signification.
Et ce geste est encore plus minimal, dans le protestantisme, en particulier le nôtre, réduit ici au simple geste de l’eau, en petite quantité, sur le front d’un enfant. Mais un jour, on m’a dit : ce n’est pas la quantité d’eau qui sauve. C’est la foi avec laquelle on met l’eau sur le front d’une personne, le jour de son baptême. C’est la foi avec laquelle j’ai déposé l’eau sur le front d’Eliott, en prononçant ces mots anciens, je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Mais c’est aussi et surtout même, la foi avec laquelle vous ses parents, Corentin et Laetitia, avez désiré ce baptême pour lui, comme vous l’avez désiré pour votre fille Alice, il y a trois ans maintenant. Ces paroles prononcées sur Eliott aujourd’hui, ont traversé les âges traversent les âges, les siècles. Alors, bien sûr autrefois, au temps de l’Eglise primitive, Eliott aurait été un adulte, il aurait demandé lui-même le baptême, et il aurait été plongé dans l’eau d’un lac ou d’une rivière, tout entier, pour symboliser sa mort et sa résurrection. Sa mort à sa vie sans le Christ, pour renaître, ou ressusciter à sa vie avec le Christ. C’est tout le sens du baptême chrétien, que l’on soit orthodoxe, catholique ou protestant. Quelle que soit la famille spirituelle chrétienne à laquelle nous appartenons, nous sommes reliés par une personne, Jésus le Christ, en qui nous reconnaissons le Messie, le Sauveur, le Fils de Dieu, même si nous y mettons des définitions différentes, et en qui nous reconnaissons notre fraternité, en qui nous nous reconnaissons enfants d’un même Père, avec une même foi, et un seul baptême, dans le même Esprit. Et même si nos histoires humaines nous ont conduit depuis la nuit des temps dans des conflits parfois irréversibles, personne ne peut ignorer aujourd’hui tous les chemins de réconciliation qui ont été empruntés et qui nous conduisent jusqu’à aujourd’hui, à ce baptême, dans ce temple, qui est un lieu confessionnel particulier, j’en conviens, mais qui n’est pas un lieu qui enferme, mais au contraire qui ouvre sur l’universalité. Beaucoup de gens ont travaillé et continuent de travailler à la notion commune du baptême chrétien, à l’unité des chrétiens, avec un socle commun soutenant une diversité assumée, qui n’est pas forcément contradictoire, mais qui est plutôt de l’ordre de la complémentarité. Et la famille d’Eliott est au confluent de ces recherches et au bénéfice de ces résultats. Depuis 1975, les trois familles chrétiennes orthodoxe, catholique et protestante, reconnaissent dans l’autre Eglise comme dans la sienne, la même compréhension du sacrement du baptême. Celle que nous avons signifiée à l’instant sur Eliott. Eliott n’a pas été baptisé « protestant », il a été baptisé en tant que chrétien, reçue dans une famille spirituelle.
Ce qui compte ce matin, ce n’est pas QUE notre famille spirituelle d’origine, c’est une appartenance spirituelle, beaucoup plus grande que notre petit Ego personnel ou ecclésial, parce que, comme dirait Marguerite Hoppenot, la fondatrice catholique et laïque du Mouvement Sève, avec lequel je travaille depuis plusieurs années : « tu portes en toi quelqu’un de beaucoup plus grand que toi. ». Autrement dit, tu portes en toi la présence de Jésus-Christ, invisible au premier coup d’œil, parce qu’elle est grosse comme une graine de moutarde, mais à tout moment de ta vie, elle peut grandir, et éclore, et devenir un arbre si grand, si fort, si majestueux, que tous les oiseaux du ciel peuvent y faire leur nid, sans être gênés. Poser le geste du baptême, c’est reconnaître cette présence, encore invisible dans l’autre. En préparant ce culte pour ce matin, j’ai pensé et je pense encore au Père Fabien qui ne peut pas être avec nous, mais je voudrais qu’il sache qu’il est avec nous, à ce moment précis par la pensée et par la prière.
Nous avons entendu deux textes bibliques à l’instant : d’abord celui de la lettre de Paul aux Ephésiens (Ephésiens chapitre 4, versets 1 à 5) : qui dit à ses amis de la nouvelle Eglise qui vient de se monter : accordez votre vie à l’appel que vous avez reçu.
Il s’adresse à des adultes qui ont choisi de changer de vie et de suivre le message de Jésus-Christ. Ils l’ont accepté et ils l’ont signifié par le baptême. A leur tour, ils ont rejoint la grande famille des croyants, différents d’eux, les juifs, qui avaient entendu ailleurs, le message de Jésus-Christ, celui que nous avons entendu tout à l’heure, et c’est le second texte, dans l’Evangile de Jean, Jésus qui se définit comme étant le Berger, le bon Berger, celui qui donne sa vie pour ses brebis. Voila le message qui a fait changer les personnes vivant à Ephèse. Tout le monde sait ce qu’est un berger. C’est celui qui prend soin de son troupeau. Mais ici Jésus précise qu’il est le bon berger, en opposition à au berger qui n’agirait que pour son propre compte sans tenir compte du troupeau dont il doit s’occuper et qui finirait même par le lâcher. Jésus se définit comme étant le bon berger, celui qui donne sa vie, pour chacune des brebis, parce qu’il les connaît. Le verbe « connaître » est important ici. Littéralement, cela veut dire : naître avec. Il s’agit de cette notion de nouvelle naissance, si importante dans l’Evangile de Jean. Naître une seconde fois, dans la foi, dans la connaissance de Jésus-Christ et par son intermédiaire, naître avec Dieu. Naître à la vie spirituelle, au chemin de foi, et partir à l’aventure dans la vie humaine, mais pas tout seul. Et le bon berger de l’Evangile de Jean n’a qu’une seule vocation : réunir dans son amour toutes les brebis de la terre. En prenant même la responsabilité de laisser le troupeau pour aller à la recherche de la brebis qui s’est égarée.
Voilà, nous avons dit tout cela, directement et indirectement, en mettant ce matin, un peu d’eau sur le front d’Eliott. Je disais aussi au début de ce message que c’était un geste qui n’enferme pas la personne qui le reçoit, mais qui l’ouvre à une grande liberté. Nous le disons dans notre liturgie. Eliott a reçu le signe de la grâce de Dieu dans sa vie, il ne le sait pas encore, c’est nous qui le savons pour lui et plus tard, nous lui expliquerons ce que ça veut dire pour lui. Nous serons là pour répondre à ses questions. Eliott sera libre d’adhérer ou non, à ce que nous avons fait pour lui. Son adhésion en fait, dépendra de sa propre rencontre personnelle avec le Christ, ou avec le Dieu de Jésus-Christ, qu’il fera sur le chemin de sa propre vie. Il s’apercevra en grandissant, qu’il est entouré de personnes, qui, elles aussi sont en chemin : ses parents, son parrain, sa marraine, mais aussi ses grands-parents, les cousins, les cousines, les amis, tout le monde est en chemin.
Etre en chemin c’est marcher, c’est toujours être en mouvement. Se déplacer, avancer, reculer, marcher de travers, se tromper de route, revenir en arrière, repartir, s’orienter à nouveau, c’est tout cela qui se passe quand on est en chemin. Si Jésus est le bon berger que nous voulons suivre du mieux qu’on peut, il est aussi le chemin que nous empruntons. Si Jésus est le Berger que nous suivons, et le chemin sur lequel on marche, alors, tout est tracé, il n’y a qu’à suivre, et on ne devrait jamais se tromper. Et pourtant, on subit des erreurs d’aiguillages pas toujours faciles à supporter. Parfois, le chemin est plus difficile que prévu. Il est beaucoup plus exigeant que ce qu’on avait imaginé. Alors, on a craqué, et on craque encore. On ne marche plus sur le bon chemin, celui qui mène vers la vie. Il faut s’arrêter, faire du ménage, déposer quelques fardeaux trop lourds à porter, enlever les pierres qui pourraient nous faire tomber, et si on est tombés, alors, rassembler ce qui nous reste de forces pour se relever, et reprendre le chemin, certes, un peu différents, plus mûrs, et avec une confiance retrouvée.
Parfois le chemin n’est pas si difficile que ça, mais on n’a pas envie de le suivre, parce qu’on se dit qu’on connaît le chemin mieux que celui qu’on devrait suivre. Alors on y va tout seul. Au pif. Et c’est là qu’on peut se tromper, parce qu’on décide de compter que sur nous-mêmes, et qu’on oublie de le consulter, ou parce qu’on ne lui fait pas ou plus confiance. Mais ce qui est génial, dans tout ça, c’est que Jésus accepte tout à fait qu’on ne le suive pas ou pas tout le temps. Il nous laisse faire. En même temps, il ne reste pas loin. Parfois même il se cache pour qu’on ne soit ni embêté, ni culpabilisé par sa présence. Jésus ne s’impose pas. Il nous laisse nous débrouiller. Mais si jamais on crie au secours parce qu’on a peur et qu’on a besoin de retrouver le chemin, alors, il vient à notre rencontre et il réoriente notre marche. Et ça tout au long de notre vie. C’est ainsi que petit à petit, nous nous approchons de quelque chose de plus en plus vrai dans nos vies, de tout ce qui fait jaillir le meilleur de nous-mêmes, et nous permet d’être vrai, sans artifice, sans masque, sans jouer la comédie. Sans faire le costaud, si on se sent faible, sans le faire le bien portant, si on est malade, sans faire l’intelligent, si on n’a rien compris, sans avoir besoin d’écraser les autres, pour se faire bien voir et même sans dire qu’on est courageux alors qu’on a la trouille, et même sans dire qu’on a la foi, alors qu’on doute. Jésus, c’est une puissance infinie de vie qui jaillit en permanence. Jésus c’est un grand « oui » à la vie.
C’est cet appel que nous recevons encore aujourd’hui. Puissions-nous accorder notre vie, à cet appel, alors que nous venons de baptiser Eliott. Ce que nous croyons vrai pour Eliott, nous le croyons vrai aussi pour nous-mêmes. Pourquoi s’en priver ?
Amen.