L’étoile de notre intuition
Chers sœurs et frères,
Chaque année, le premier dimanche du mois de janvier, nous avons irrémédiablement rendez-vous avec les Mages, les Rois, les Savants d’Orient, qui se sont mis en route, à la poursuite d’une étoile. Depuis, nous avons appris que c’était leur métier que d’observer les étoiles, et de déduire, par rapport à leur place et leur activité dans le ciel, les événements qui allaient se produire !
J’aime bien ce texte, qui nous met en communion avec les Chrétiens d’Orient, Arméniens, Orthodoxes, qui fêtent Noël aujourd’hui, puisque nous sommes le 6 janvier.
C’est un texte biblique que l’on ne trouve qu’une fois, comme le sont d’une certaine manière tous les récits centrés sur la naissance de Jésus. Ces savants, ces mages, devenus des Rois, ensuite par la Tradition, on n’en parle plus jamais dans le nouveau testament.
Trois remarques me paraissent intéressantes à relever dans ce texte, pour notre méditation d’aujourd’hui.
Tout d’abord, les savants arrivent à Jérusalem. Ils suivaient l’Etoile depuis leur départ d’Orient. Les savants suivent aussi leur intuition. Cette étoile leur annonce la naissance d’un roi. Un roi ne peut naître que dans une capitale ou une ville importante. C’est donc tout logiquement qu’ils arrivent à Jérusalem, capitale de la Judée. La question des Mages est claire : où est l’enfant qui vient de naître et qui sera le roi des Juifs ? Cette question marque la logique de leur démarche. C’est bien cette grande et belle ville de Jérusalem, la seule qui peut accueillir la naissance du Messie, selon leurs critères humains et scientifiques.
Deuxième remarque de notre récit : tous ont besoin des Ecritures pour vérifier le lieu de la naissance du Messie. Le Roi Hérode assemble les chefs des prêtres et les maîtres de la Loi, garants de la Parole de Dieu, et découvre avec eux que c’est à Bethléem, petit village modeste, où doit naître le Messie. Les Mages font confiance à cette découverte des Ecritures. Ce sont les Ecritures qui sont venues en aide à l’intuition des savants. C’est la Parole de Dieu, à travers les textes bibliques, qui a éclairé la route des savants. Le texte biblique ne vient pas annuler l’intuition scientifique des savants, mais il vient l’approfondir et l’enraciner.
Troisième point, les savants vont à Bethléem, ils adorent l’enfant qui vient de naître, et ils sont devant la Parole faite chair, selon la définition de Jean l’Evangéliste. Ils sont dans une joie immense devant cet enfant et le fait qu’il soit né dans un lieu de pauvreté ne les choque pas. Ils n’ont pas de préjugés. Être devant l’enfant les met dans une certaine relation à Dieu. Le texte en effet nous dit, que « Dieu les avertit dans un songe de ne pas retourner auprès d’Hérode ». Le texte grec d’ailleurs est beaucoup plus sobre que la traduction française. Les savants sont juste avertis en songe, dans le texte original, mais les traductions s’empressent de nous préciser que c’est Dieu qui les avertit, comme si on voulait nous dire que les savants sont en train de tisser une relation de confiance avec Dieu. Et ils rentrent chez eux par un autre chemin.
Une nouvelle année s’ouvre à nous, depuis quelques jours. Commencer une nouvelle année, c’est se mettre en marche vers l’inconnu. Quelle étoile va nous guider ? Ou plutôt, par quelle intuition allons-nous nous laisser guider ? Comment allons-nous nous mettre en marche vers l’inconnu ?
La foi comme le bonheur, ou l’amour, ce n’est pas un but à atteindre, mais un chemin à parcourir. Dans le meilleur des cas, on nous le dit, quand on est jeune... Mais on ne le croit pas forcément. Alors, nous partons dans la vie, comme nous le pouvons. Avec le bagage qui est le nôtre, avec de quoi tenir, en tout cas, sur le début du chemin. Après on se débrouille. Il faut trouver par nous-mêmes, dans l’amour comme dans la foi, dans le malheur comme dans le bonheur, dans la mort comme dans la vie, ce qui nous fera tenir, avancer, résister. On repère dans le ciel, une étoile, qui pourra nous conduire, du moins, nous l’espérons.
Au début, on ne sait pas où poser ses pas, ni par où passer. La route semble interminable. Comment faire ? Où est ce bonheur dont on nous parle ? Et l’amour ? Et la foi ? Comment nous aide-t-elle ? Faire confiance, d’accord, mais à qui ? Aux proches ? Aux anciens ? Au soleil, aux étoiles ? A soi-même, mais ce n’est pas si simple. Aux personnes rencontrées sur la route ? Il y en a de toutes sortes ! A Dieu peut-être, et encore…ce n’est pas si évident.
Souvent, on se demande si on est sur le bon chemin. Tout le monde se pose la question. Mais le bon chemin n’est-il pas celui sur lequel nous nous trouvons en ce moment ? Avec notre vie, les circonstances que sont les nôtres, les décisions que nous prenons, c’est cela notre chemin. Il n’y en a pas d’autres. Et même si on change de direction, c’est toujours le même chemin. Il y a des chemins qui nous rapprochent, qui nous mettent dans la même proximité, dans le même travail, dans le même projet de vie. Il y a aussi d’autres appels qui peuvent survenir en cours de route et qui nous éloignent. Cet appel nous propulse sur des routes nouvelles, avec des itinéraires surprises, mais au fond, c’est toujours le même chemin.
Que ce soit dans la vie, l’amour ou la foi, il y a autant de chemins que d’individus. Nous pouvons comparer les chemins que sont nos vies, et partager les expériences qui en font les détours ou les sinuosités. C’est comme si nous partions des régions d’Orient, pour aller à Jérusalem, tout en passant par Bethléem. Ces détours, la plupart imprévus, font accélérer ou ralentir notre marche. Ce sont comme des cailloux dans nos chaussures. Les expériences les plus dures, les plus agressives, les plus difficiles nous obligent à nous arrêter sur le chemin et ce sont, alors, autant d’occasions de nous remettre en question et de regarder à l’intérieur de nous-mêmes pour réorienter notre marche.
Et on prend alors le temps de se désaltérer aux rivières de l’amitié, de la discussion, de la tendresse, et du pain partagé, avec les compagnons ou les compagnes, rencontrés en chemin, éclairés, eux, par d’autres lumières, mûris par d’autres soleils. Et ils nous aident à reprendre la route, avec le désir d’en savoir plus, d’aller plus loin, enracinés dans la joie présente. Sur le chemin, nous avançons, nous regardons, nous ressentons, nous observons. Petit à petit, nous savons où nous allons. Nous faisons de plus en plus confiance à nos pas, D’année en année, le chemin semble moins long, surpris par tout ce qui a été déjà parcouru. Le temps passe plus vite.
Pourtant, les derniers mètres restent les plus difficiles.
Dans la foi qui est la nôtre, c’est en marchant que nous prenons conscience que nous ne sommes pas seuls, et qu’un autre, déjà nous a précédés. Il en a d’ailleurs profité pour mettre des bancs, pour nous reposer, mais aussi pour prendre le temps du discernement, il a posé des signaux d’alarmes, pour que nous fassions attention, aux autres, comme à nous-mêmes. Il a mis aussi des balises et des signaux, pour que nous nous perdions le moins possible. « Va vers le pays que je te montrerai », disait déjà Dieu, à Abraham, dans la Bible… Autrement dit, va vers toi –même. Je t’invite à changer de cap, de destination, mais c’est ton chemin. Et je marche devant toi.
Pas à pas, la foi nous conduit près de lui et sa parole, fiable, reste pour celles et ceux qui décident de lui faire confiance, une lumière sur le chemin. C’est comme ça que, arrachés aux hésitations, nous marchons vers nous-mêmes, sans avoir peur de la sinuosité du chemin.
Il y a de nombreux signes des temps, aujourd’hui. Sur le plan national comme sur le plan international, des cris continuent à se faire entendre, comme des plaintes ou des appels au secours, qui se font de plus en plus précis. Il faut rétablir la justice pour que la paix revienne, il faudrait aussi égaliser les richesses, pour que tout le monde puisse vivre décemment. Il faudrait urgemment faire attention aux dérèglements climatiques, qui sont autant de signes qui nous alertent, qui nous avertissent en songe de prendre un autre chemin ; sinon le désastre va s’aggraver. Et dans nos vies personnelles, lorsqu’on se trouve devant une voie sans issue, alors qu’on croyait la route dégagée, n’est-ce pas le moment de se poser, de faire une pause, et de se poser les bonnes questions, pour continuer sa route ?
Puisque nous sommes réunis dans ce temple, ce matin, en ce premier dimanche du mois de janvier 2019, quelle est donc notre route à suivre en Eglise ? Vous allez me dire : annoncer l’Evangile. Soit, d’accord, mais concrètement, qu’est-ce que cela veut dire, sinon d’apporter plus d’amour, plus de justice, plus de solidarité, plus d’écoute et de compréhension, à travers l’annonce d’une Parole qui libère et qui ouvre de nouveaux horizons ?
On nous dit toujours, et aujourd’hui, que l’union fait la force, en particulier quand il s’agit de traverser des périodes ou des situations de précarité, d’épreuves, de solitude. Si nous l’avons oublié, alors c’est le moment de s’en souvenir. Il nous faut faire aujourd’hui encore, le pari de la fraternité entre nous, pour que ce qui est en train d’être écrit, se vive. Bien sûr nous tâtonnons, au risque de nous tromper, comme les Mages qui sont arrivés d’abord à Jérusalem, avant d’être orientés sur Bethléem et seulement après avoir consulté les Ecritures.
Prenons exemple sur eux, et empruntons à notre tour un autre itinéraire, quand la clairvoyance nous y invite. Comme eux, suivons notre intuition, en observant le ciel pour son immensité, pour voir plus loin, sans pour autant quitter des yeux la terre et ses souffrances.
Mettons-nous en route, tout en nous appuyant sur la force des textes bibliques, pour y trouver repères, encouragements, présence. Y retrouver la grâce comme quelque chose de bon qui nous précède, et pourquoi pas, retrouver la grâce des commencements ?
Sachons encore nous arrêter pour prier, chanter ensemble, et nous encourager mutuellement. Cela peut paraître dérisoire face aux défis du monde mais ce n’est pas illusoire. Car notre mission, c’est de témoigner de cet amour fou de Dieu pour sa création, manifestée au monde à Noël.
Que cette nouvelle année qui s’ouvre devant nous soit une année ouverte le plus possible sur notre ville, et sur notre Eglise, sur notre monde et sur notre prochain et que ce soit pour chacune et chacun d’entre nous une année de témoignages et d’engagement, d’accueil et de service, autrement dit, une année de nouveautés, d’imagination, de prises de risques, de discernement, de décisions à prendre, toujours dans l’amour et la confiance.
Nous continuerons le chemin ouvert par d’autres avant nous, et nous réorienterons notre propre marche pour continuer notre route. Et rappelons-nous : nous ne sommes pas seuls.
Je vous souhaite une belle et heureuse année 2019.
Agnès, le 6 janvier 2019.