Le baptême de Jésus selon Luc
Chers sœurs et frères,
Pourquoi Luc parle-t-il d'abord de la mise en prison du Baptiste, et uniquement ensuite du baptême de Jésus, effectué par Jean - bien sûr avant son arrestation ? Pourquoi ce renversement de l’ordre chronologique des choses ?
La réponse est simple : Luc nous parle tout d’abord du précurseur, de Jean-Baptiste, qu’il comprend (avec d’autres) comme le dernier des prophètes qui ont préparé le chemin du Messie, et ensuite seulement il va parler de celui qu’il a annoncé, du Christ. Luc achève son récit sur Jean-Baptiste, pour, ensuite, nous parler du baptême de Jésus. Luc en dit d’ailleurs bien moins que les autres évangélistes. Il ne raconte pas ce qui s’est passé, il se contente, en revanche, de ne retenir que trois faits :
- la prière de Jésus, qui témoigne de sa relation étroite avec Dieu, son Père, illustrée par l’image du ciel ouvert,
- la venue du Saint-Esprit qui symbolise la force créatrice que Jésus reçoit de Dieu, qui le fait devenir porteur d’espérance, de paix et d’amour,
- et finalement l’adoption : Jésus est appelé à la responsabilité de son ministère.
Ces trois éléments du baptême de Jésus placent cet événement, situé au début du ministère public de Jésus, entre le baptême de Jean, qui était un signe prophétique, un acte d’attente, fervente et passionnée, du Messie à venir, et notre propre baptême chrétien. Ils montrent qu'il s'agit d'un signe, pour faire de nous des membres actifs du corps du Christ sur terre, des "organes" donc, des bras et des oreilles, des mains et des têtes qui agissent selon les commandements du Seigneur ressuscité, appelés au témoignage.
Essayons de regarder de près ces trois éléments :
- La prière de Jésus.
Luc nous dit que pour Jésus « le ciel s’ouvrit ». Bien sûr, cette expression n’a rien à voir avec le ciel bleu, après l’orage : Elle veut dire que Dieu s’est montré présent, proche, accessible : Au moment du baptême, Dieu se montre clairement en tant que père céleste, il s'avère être le "Dieu-qui-est-avec-nous", il est celui qui nous aime, qui s’intéresse à chacun d’entre nous, qui nous accompagne, même aux moments où nous avons l’impression d’être seuls, délaissés, abandonnés à nos doutes et à nos désespoirs.
Mais bien sûr, Dieu n’intervient pas ‘automatiquement’. Il ne s’impose pas. Luc nous dit, au contraire, que le ciel s’ouvrit - par la prière ! Luc souligne que le ciel ouvert signifie la présence de Dieu qui a été la réponse à la prière. Dieu devient présent dans et à travers la prière !
Cette prière de Jésus, commencée au moment du baptême, ne s’est jamais arrêtée, depuis. Ni aux moments où Jésus a rencontré la misère de ce monde pour y faire face, ni aux moments forts, comme la Transfiguration par exemple, ni même aux moments d’ultime souffrance : Son cri sur la croix, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! » n’était rien d’autre qu’une prière ! Notons, en passant, que ce cri, le début du psaume 22, ne nous est transmis que par Marc et Matthieu. Chez Luc, le dernier mot de Jésus sur la croix est aussi une prière, mais elle est tirée du psaume 31 : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ! » - une prière de confiance, en contraste éclatant à ce moment douloureux !
C’est donc la prière qui a relié Jésus d’une façon indissoluble à Dieu, son père. Pour nous aussi, la prière est, pour ainsi dire, une corde qui nous relie à Dieu ou un fil qui nous tricote à Dieu. Et il se fera peut-être un jour - ou, qui sait, une nuit - de détresse ou d'angoisse ou de catastrophe, si ce n’est déjà fait, l’expérience inouïe que la corde tient, oui, elle tient le coup, contre toute crainte, contre tout doute, contre tout désespoir, même dans l'obscurité la plus absolue !
- La venue du Saint-Esprit.
En tant que protestants Réformés, il se peut que nous ayons des problèmes particuliers avec l’Esprit Saint. Nous pourrions envier à nos frères et sœurs orthodoxes leur spiritualité très intense. Elle leur permet de comprendre plus facilement ce que le récit de Luc veut dire en parlant d’une apparition corporelle de l’Esprit. Il est évident qu’il n’est pas question d’un oiseau concret qui se serait posé sur Jésus. Mais c’est important de se rappeler que l’évangile nous parle en images et en symboles. Le fait que l’Esprit nous soit présenté sous la forme d’une colombe, veut nous dire que, lorsque l’Esprit de Dieu vient dans ce monde, il vient sans aucune violence, aucune agressivité. Au contraire, il approche avec la douceur, la délicatesse, la finesse, la légèreté d’une colombe. Pourtant, il ne passe pas inaperçu. Il se fait sentir très concrètement. Cet Esprit de Dieu vient pour agir, pour opérer un changement concret. Et, en effet, il a déjà changé bien des vies, et ceci complètement ! Rappelons-nous ce berger tranquille qu’était Moïse dans les vastes pâturages au pied du Sinaï, avant que le souffle de l’Esprit ne l’ait poussé vers l’Égypte. Pensons aussi à David, le dernier fils de Jessé, petit berger tout jeune, choisi pour devenir le roi d’Israël. Sans oublier tant d’autres témoins, tant de martyrs de la foi, qui, poussés par l’Esprit de Dieu, ont largement dépassé les limites de leurs propres facultés pour être au service de leur Seigneur et de son Église, pour vivre leur témoignage particulier. Quand Luc parle d’une apparition corporelle de l’Esprit de Dieu, il pense donc à cette expérience très concrète que fera celui qui le rencontre : une expérience qui, d'ailleurs, n’est pas du tout réservée au Fils de Dieu seul. Luc en parle pour nous dire : Oui, cette expérience corporelle et concrète est destinée à chacun de celles et de ceux qui suivent le Christ. Cette expérience concrète nous attend, nous aussi, nous toutes et nous tous qui avons reçu le baptême !
- Avec cela, nous sommes déjà en présence du troisième élément du baptême de Jésus, de ce que j’ai appelé « adoption ».
Il est à noter que ce terme n’est pas de moi ! Les historiens parlent avec ce mot, de la formule : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré », qui se trouve un peu partout dans la littérature de l’Orient classique. Elle est déjà dans les Psaumes, en particulier le Psaume 2, verset 5. C’est une formule qui faisait partie d’un rite très répandu. Cela servait à instituer la personne concernée dans ses droits de succession ou de fils, ou même de roi.
Alors, on peut imaginer ce que cela signifie pour le baptême de Jésus : Jésus, dès ce moment, exerce le pouvoir du Père. C’est lui qui remet les péchés, et ils sont remis, c’est lui qui accorde la grâce, et la grâce est accordée. Ici et maintenant. Et quand il donne son amour sans limites, c’est que dorénavant, au nom de Dieu, il n’y a plus rien d’autre que cet amour sans limites ! Et cela nous renvoie à notre propre baptême : lorsque nous sommes baptisés, on ne commémore pas seulement le baptême de Jésus, mais chaque baptisé entre dans la famille de l’Eglise, et il est en quelque sorte « adopté » dans ce sens biblique - adopté par Dieu ! Dieu nous dit comme il l'a dit à Jésus : Voici que je te donne mon esprit d’amour, ma puissance créatrice, mon esprit de paix pour que tu deviennes mon témoin, en paroles et en actes. Il me semble que le récit de Luc nous est donné pour nous faire comprendre notre propre baptême - et comment pratiquer très concrètement les conséquences de notre baptême : Dans la prière, dans la puissance de l’Esprit, et dans notre responsabilité comme témoins de l’Evangile de son amour, dans le monde où nous vivons.
Amen.
Cornélia Masi et Agnès Adeline-Schaeffer, le 13 janvier 2019.