Dieu est là incognito, dans le plus petits des êtres que tu rencontres
Chère Anaïs, chers frères et sœurs, C’est avec une joie profonde et une grande reconnaissance que nous sommes réunis aujourd’hui pour le baptême d’Anaïs. Anaïs, tu fais partie de ce petit groupe de catéchumènes qui s’est réuni le plus fidèlement possible ces dernières années, pour se préparer un jour à entrer dans l’Eglise universelle. Il y a eu la confirmation de Valentine au mois de juin et il y aura celle de Théo au mois d’octobre, et toi, tu as choisi la date de ce dimanche pour faire ton entrée dans l’Eglise.
Quand je dis Eglise, je pense à l’Eglise universelle qui rassemble de par le monde les hommes et les femmes de tous les pays, qui se reconnaissent dans le Christianisme, avec toutes les dénominations que nous pouvons connaître, avec les traditions des plus anciennes aux plus récentes. Mais quand je dis Eglise, je pense aussi à notre église locale, notre paroisse, celle de Clamart, Issy les Moulineaux, Meudon la Forêt, dans laquelle tu te trouves depuis ton enfance, prenant la suite de ta famille, tes parents, tes grands—parents. Et comme tu le sais, notre paroisse a la particularité de ne pas fonctionner toute seule, mais en collaboration avec une autre association que ta famille connaît bien, je veux parler de la Fraternité qui abrite de nombreuses activités, en particulier l’Entraide et le Scoutisme.
Anaïs, tu vas demander le baptême dans quelques instants. Tu recevras un peu d’eau sur la tête, pour concrétiser ta demande. L’eau est le signe de l’alliance entre Dieu et toi. Je mettrai aussi mes mains sur ta tête, pour signifier la bénédiction, mais aussi la présence de l’Esprit Saint. A partir de maintenant tu n’es plus seule, et c’est officiel ! Par ce geste, tu rejoins celles et ceux qui à travers le monde ont fait ce même geste, et qui ont prononcé cette même parole : « Jésus-Christ est le Seigneur ». Tu rejoins celles et ceux qui ont reconnu qu’avec le Dieu de Jésus-Christ, et avec sa Parole que nous avons étudiée dans la Bible, il y avait là un chemin de vie, possible à emprunter, à parcourir, qui aide à traverser la vie. Les croyants appellent ce chemin : la foi. Les autres l’appellent : la confiance. Mais au fond, ces deux mots sont de la même famille, celle du mot latin « fides » qui en a donné d’ailleurs un troisième : le mot fidèle, ou fidélité. Avoir la foi, c’est faire confiance. Avoir la foi, c’est dire « je crois ». Faire confiance, c’est croire que l’autre a autant de qualité que je peux en avoir, c’est croire que l’autre peut m’aider, me conseiller, me soutenir, bref, c’est croire que l’autre peut m’aimer. Dans la foi chrétienne, l’engagement des fidèles (c'est-à-dire de ceux qui ont la foi, ou qui font confiance) repose sur deux fondements, exprimés de cette manière : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta pensée, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Les grandes questions que se posent les êtres humains depuis la nuit des temps, c’est celle de la vie, de la mort, de l’amour et la question de l’existence de Dieu. La réponse passe par la solidarité envers l’autre. Et par la solidarité de l’autre envers moi. Certains diront : je suis solidaire des autres, au nom de Dieu, au nom de ma religion, au nom de ma foi, d’autres diront : je suis solidaire des autres au nom d’une philosophie, au nom de la laïcité, au nom de mon engagement social. Mais les deux maîtres-mots sont bien engagement et solidarité.
« Engagement et solidarité », ce sont justement les deux mots que tu as choisis, pour résumer ton entrée dans l’Eglise aujourd’hui. Certes, ton catéchisme est terminé, mais c’est maintenant que tout commence ! Tu vas vérifier ce que tu as appris avec la réalité de notre monde. Tu vas t’apercevoir que ce n’est pas aussi simple, mais que tu n’es pas seule. Tu es entourée de personnes qui ont fait un jour la même démarche que toi, et tu les retrouves dans les mêmes engagements solidaires. L’engagement solidaire, tu connais bien, parce que tu l’expérimentes déjà par le scoutisme. Au fond, tu es déjà une fidèle, tu es déjà une personne qui fait confiance, et qui croit. Tu crois, à ta manière, à la vie et à l’amour, à l’amitié et à la fraternité, tu aspires à lutter contre les injustices, contre la solitude, tu cherches avec tes propres forces à lutter contre le malheur, et à faire advenir un monde meilleur dans lequel chaque homme, chaque femme, chaque enfant aura sa place et sa dignité. Et c’est à ce moment précis que la parole de Dieu, la parole de l’Evangile rejoint ta vie et ta foi. Par ton baptême tu officialises ce que tu expérimentes déjà, à ton échelle. Nous partageons maintenant ce texte de l’Evangile de Matthieu, ce texte qui, me semble-t-il, est le plus important, parce qu’il est le plus universel. Jésus raconte une histoire pour mieux faire connaître Dieu, une histoire que tout le monde peut comprendre et dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. Un roi rassemble tous ses sujets pour faire le point. Pour dresser un bilan. Quand on dresse un bilan, on sépare les choses positives des choses négatives. Dans cette histoire c’est pareil. Il y a ceux qui ont fait « quelque chose » et ceux qui n’ont pas fait « quelque chose ». Et ce « quelque chose » concerne les besoins élémentaires de tous les êtres humains, à travers le monde : Le roi dit : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger. J’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’étais nu et vous m’avez habillé, j’étais malade et vous m’avez soigné, j’étais en prison et vous êtes venus me voir, j’étais étranger et vous m’avez accueilli ». Voilà ce qui compte avant tout.
Avoir faim, avoir soif, être nu, être malade, être en prison, être accueilli : cela peut se comprendre au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre, c’est tout ce qui se vit dans les services d’entraides, dans les diaconats, à l’Armée du Salut, au secours populaire, aux restos du cœur, au centre d’action sociale protestant, à l’entraide bouddhiste ou au secours islamique. Partout où l’on aide concrètement son prochain. Mais cette aide se décline aussi au sens figuré. Il y a d’autres faims que les faims matérielles. Il y a d’autres soifs que celles de boire. Il y a d’autres prisons que celles de la République. Il y a des étrangers autres que ceux qui viennent d’un autre pays. Il y a tous ceux qui faim et soif d’être aimés, reconnus, compris, adoptés. Il y a ceux qui se sentent étrangers dans leur propre famille, étranger dans leur couple, dans leur travail, dans l’église. Il y a ceux qui sont en prison, parce qu’ils ont commis une faute, un délit, un crime, mais il y a ceux qui emprisonnés pour leurs idées, leurs engagements pour la dignité et la liberté. Mais il y a les autres, prisonniers de leurs préjugés, de leurs idées fixes ou de leur éducation, et tous ceux qui sont prisonniers des addictions : drogue, alcool, jeux vidéos, tablettes, téléphones portables, ... Il y a ceux qui sont malades, à l’hôpital, et qui luttent , il y a ceux qui sont malades de solitude ou de jalousie. On pourrait allonger la liste en travaillant notre imagination.
De deux choses, l’une : soit on aide, soit on n’aide pas. Et là, l’histoire prend une nouvelle tournure. Le roi parle à la première personne du singulier. Il parle de lui. Et ceux qui l’écoutent ne comprennent pas. En tout cas, ils ne reconnaissent pas le roi. Jamais ils n’ont vu le roi avoir faim, avoir soif, malade, étranger, ou en prison…
Coup de tonnerre ! Le roi répond : chaque fois que vous avez aidé quelqu’un qui est le plus petit de tous mes sujets, c’est moi que vous avez aidé. Chaque fois que vous n’avez pas aidé, c’est moi que vous n’avez pas aidé.
Ni plus, ni moins. C’est clair comme de l’eau de roche.
C’est une histoire à la portée de tous. Le roi dont parle Jésus dans son histoire, c’est Dieu. Il n’y a pas à chercher midi à 14h. Si tu veux rencontrer Dieu, tu le trouveras dans le plus petit de tous les prochains que tu aides. Dieu est là incognito, dans le plus petits des êtres que tu rencontres. Cette histoire est désarmante de simplicité. Mais désarmante aussi de radicalisme.
Cette histoire est là aussi pour nous dire que nous ne sommes pas parfaits, qu’il y a des jours avec, et des jours sans. Des jours où on a assez de monnaie dans la poche pour la donner à ceux qui font la manche dans le métro et des jours où on n’a pas envie de donner. Des jours où on a envie de faire des visites, et des jours on a envie de rester chez soi. C’est de cela que parle l’histoire. Chaque fois qu’on fait un geste vers l’autre, on va vers la rencontre et le partage, et on a l’occasion de faire la découverte de Dieu, chaque fois qu’on ne fait rien, on rate l’occasion d’une découverte de Dieu. C’est à nous en fait, de faire notre propre bilan, parce que nous sommes des personnes libres et responsables, mais pas infaillibles.
Alors, bien sûr, chère Anaïs, tu peux vivre tout cela en dehors de l’Eglise. Mais en le vivant aussi en Eglise, avec ton baptême, tu reconnais avec celles et ceux qui sont déjà dedans, qu’on ne peut pas y arriver tout seul. Tu reconnais avec nous que tu es portée par un amour plus grand que le tien. Tu portes en toi quelqu’un de plus grand que toi et dont la parole et la présence t’aideront à élargir ton cœur et ton esprit aux dimensions du monde. Quelqu’un aussi qui te dit à toi, personnellement le jour où tu auras des doutes et des envies de tout lâcher : « N’aie pas peur Anaïs. Quand les montagnes s’éloigneraient, quand les collines chancelleraient, mon amour ne s’éloignera pas de toi, dit le Seigneur qui a compassion de toi ». (Esaïe 54 verset10)
Amen. Dieu est fidèle.
Agnès, le 9 septembre 2018.