La Question du Mal – Avril 2019
La rédemption : Positions de Jean Delumeau, de François Varillon et de Paul Ricoeur – restitution des discussions du Groupe « Aux Sources de la Foi » lors de la rencontre du 9 avril 2019
Nous avons vu que l’interprétation du péché originel a donné lieu à un véritable contresens qui a pu et qui peut encore nous troubler.
Cette interprétation est la suivante : Adam et Eve auraient commis une faute énorme qui a irrité Dieu. La justice divine, qui a une valeur infinie, ne pouvait être satisfaite que par une compensation infinie. Seul le Fils de Dieu est capable de payer le prix. Telle est la doctrine officielle longtemps enseignée et rationalisée par St Anselme, l’archevêque de Cantorbéry, au 11ième siècle.
En sortant de cette compréhension rationaliste comment comprendre la Rédemption ?
Nous avons déjà vu la position d’Adolphe Gesché sur ce point qu’il est utile de rappeler.
Il affirme clairement la nécessité d’un Salut. Un salut non pour nous racheter d’une faute originelle, mais pour apporter une réponse face au mal mystérieux qui nous précède.
En face de la figure énigmatique du serpent se lève l’anti-figure mystérieuse d’un salut de Dieu dans le Christ.
Aucune possibilité interne au mal ne peut permettre une rédemption. Aucune vertu n’est suffisante. La seule chance est une extériorité, une altérité, un ailleurs.
Dieu seul, dont le nom, comme le dit Paul, est « surabondance » peut apporter le Salut qui permet d’arriver au bout du mal.
C’est parce qu’il s’agit d’un désastre de destin, et non pas seulement d’une question de morale, qu’il faut un Salut. Les calculs, la sagesse, les prouesses de la vertu, sont inopérants. « Salut » est bien le mot qu’il faut prononcer.
C’est Dieu lui-même qui se lève et s’engage contre le mal. On pourrait dire, un peu familièrement si Dieu n’existait pas, c’est ici qu’il faudrait l’inventer.
Dieu a voulu connaître le mal en son fils. Seul innocent, délié de toute complicité, seul en mesure d’abattre le mal. Selon l’expression de Paul : « fait péché pour nous ». Aucun homme n’est capable de porter ce poids.
« C’est Dieu lui-même qui se lève et s’engage contre le mal »
Position de Jean Delumeau
Delumeau cite Bossuet pour décrire une position partagée à cette époque (17ième)
« Il n’appartient qu’à Dieu de venger ses propres injures, il fallait donc mes frères, qu’il vint lui-même, contre son fils, avec toutes ses foudres, et puisqu’il avait mis en lui nos péchés, il y devait mettre aussi sa juste vengeance, il l’a fait, chrétiens, n’en doutons pas »
Et Bourdalou de surenchérir en disant :
« Car s’était vous-mêmes, Seigneur, qui justement changé dans un Dieu cruel faisiez sentir non plus à votre serviteur Job mais à votre fils unique la pesanteur de votre bras, depuis longtemps vous attendiez cette victime, il fallait réparer votre gloire et satisfaire votre justice »
Aujourd’hui le catholicisme, par des voix autorisées, marque une rupture avec cette forme de rationalité, surtout depuis Vatican II,
Joseph Ratzinger dans un livre traduit en Français 1976 refuse de croire que Dieu n’est devenu ‘’miséricordieux’’ qu’une fois sa ‘’vengeance’’ accomplie. S’élevant contre la théologie de la satisfaction, il affirme :
« A l’intérieur d’un mécanisme de droit lésé et rétabli, il faut rejeter la notion d’un Dieu dont la justice inexorable aurait réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre fils, autant cette image est répandue, autant elle est fausse »
On peut citer aussi quelqu’un qui a une influence considérable actuellement dans les milieux catholiques et dans le centre de la rue de Sèvre de Paris : le père Sesboüé.
« Notre salut n’est pas une transaction qui se serait accompli entre le père et le fils, le père aurait obligé son fils à mourir pour se venger sur lui, en quelque sorte, du péché de l’humanité. De son côté le fils aurait accepté cette condamnation à mort comme un châtiment pour expier nos péchés. Certains sont même allé jusqu’à penser qu’il fallait compenser le poids du péché par un poids du supplice équivalent.
Il faut dire qu’ils se trompent lourdement. Ce que Dieu n’a pas voulu imposer à Abraham, la mise à mort de son fils Isaac, ce dont il a voulu précisément libérer Abraham, se serait-il imposé à lui-même ? Cette interprétation fautive est dramatique, car elle transfère la volonté de mort et la violence des hommes pécheurs à Dieu lui-même »
Alors, Jean Delumeau se pose la question : si la rédemption n’est pas une dette à payer pour racheter un coupable, il faut la comprendre comment ?
Pour lui le mot vient d’abord de l’Exode. Il signifie ‘’libération’’ d’un esclavage. Yahvé délivre gratuitement son peuple en renouvelant avec lui son alliance promise à Abraham. Il n’y a pas de rançon payée, il n’y a pas de personnage pour réclamer une indemnité.
Il faut se replacer dans le contexte. Dans l’AT toute alliance était scellée par un sacrifice. Le bélier qui remplace Isaac, un agneau au départ d’Egypte pour la terre promise….
Ces souvenirs confluent dans les récits du NT. Jésus lui-même se réfère au livre de l’Exode en proposant une nouvelle alliance. Exode ch 24, indique que « Moïse prit du sang et aspergea le peuple et dit : voici le sang de l’alliance que le Seigneur a conclu avec vous »
Jésus en proposant une nouvelle Alliance reprend ce langage, le mot rédemption se situe dans ce contexte et doit donc se comprendre dans ce contexte.
Mais, cette nouvelle alliance marque une différence importante, elle s’adresse maintenant à tous, pas seulement à un peuple élu, elle concerne la « la multitude ». Yahvé n’est plus un Dien ethnique mais un Dieu universel.
Jésus s’est donc comparé aux victimes animales offertes par les israélites pour sceller leur alliance avec Yahvé. Il offre sa vie librement, non comme un prix à payer, mais comme un immense geste d’amour qui est pure gratuité.
Le mot rédemption n’est donc pas démodé s’il est compris à la lumière de l’histoire qui modifie les éclairages culturels.
Pour nous il signifie l’amour inépuisable de Dieu qui se penche sur notre misère et maintient, contre vents et marées, son alliance avec nous.
François Varillon
Il défend une compréhension de la Rédemption très similaire.
Il commence par se poser la question que veut-on dire en affirmant : « Christ est mort pour nous ? »
Il rappelle l’idée longtemps défendue qui est celle de la substitution. Christ s’est substitué à l’humanité pècheresse qui aurait dû subir le juste châtiment de Dieu pour la réparation d’une faute énorme.
La justice de Dieu exige cette réparation. Christ expie à notre place, il satisfait la justice divine et répare l’offense faite à Dieu.
Les mots clés sont : justice, châtiment, substitution, expiation, réparation, compensation.
Varillon cite lui aussi le cardinal Ratzinger qui résume cette position ainsi :
« Le sang de Jésus versé au Calvaire est alors le prix d’une dette exigée par Dieu en compensation de l’offense infligée à son honneur par le péché des hommes »
Varillon cite ensuite le Père Duquoc pour expliquer les difficultés des disciples pour comprendre la mort de Jésus. Elle est d’abord perçue comme un échec, certes il y a ensuite la résurrection qui est venue les éclairés, puis la pentecôte.
Mais, il ne faut pas oublier qu’il a fallu beaucoup de temps aux apôtres pour expliquer la Croix. Ils le font en utilisant l’AT et les catégories de pensée des juives.
Jésus lui-même à parlé de sa mort à l’aide des sacrifices antiques, mais c’est un langage imagé, sa mort était bien autre chose qu’un rite sacrificiel ancien, inefficace.
Le sang versé n’est pas une réparation, mais l’expression concrète d’un amour qui va jusqu’au bout de lui-même.
Un amour qui va jusqu’au bout du don, c’est-à-dire au par-don : le don parfait
C’est la toute-impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature de la tout puissance de Dieu qui est puissance d’Amour, sans condition préalable.
« Un amour qui va jusqu’au bout du don, c’est-à-dire au par-don : le don parfait »
Paul Ricoeur exprime son trouble devant la foi chrétienne qui propose la vie et qui à comme symbole la croix. Il montre qu’au cœur même de la foi chrétienne il y a une violence qui est difficile à comprendre.
Il propose de redécouvrir la force du geste « donner la vie pour… »
Et il s’appuie sur la parole de Jésus dans l’Evangile de Jean
Citons Paul Ricoeur :
« C’’est pourquoi, pour ma part je dirai qu’il faut tenter de préserver ce qui, dans l’idée de victime, ne se laisse pas entraîner dans une logique de compensation.
Et alors ce qu’il faut retrouver, c’est la force de celui qui donne sa vie sans contraintes, sans contraintes même logique.
Dans le texte de Jean 10, je lis : « Je suis le bon berger, le bon berger donne sa vie pour ses brebis…si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie pour la reprendre, on ne me l’ôte pas, je la donne de moi-même »
C’est donc la gratuité de donner sa vie, et la donner pour les autres, qui est le point de résistance à la récupération logique dans la compensation, dans l’équivalence, dans la substitution.
L’idée de « mourir pour » doit garder sa force. Le risque de réduire la mort de Jésus à un modèle, c’est certainement celui de l’appauvrir et l’aplatir.
Mais alors il faut dérationaliser toute cette théologie de la substitution, pour retrouver à la fois le mystère d’iniquité et la gratuité du don de soi pour les autres.
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