Le Fil d’en haut
Le Fil d’en Haut a été écrit originellement par Johannes Jørgensen ou Joergensen (6 novembre 1866 à Svendborg – 29 mai 1956 à Svendborg), un écrivain danois, célèbre pour ses biographies de saints catholiques.
C’était un beau matin de septembre. Toutes les prairies scintillaient sous la rosée qui les recouvrait, et les fils de la Vierge brillants comme la soie, se balançaient dans les airs. Ils venaient de loin et se dirigeaient loin.
Un de ces fils aborda sur la cime d’un arbre, et l’aéronaute, une petite araignée noire et jaune, quitta sa légère nacelle et se posa sur le sol résistant du feuillage.
Mais l’endroit ne fut pas à son goût, et, prenant une rapide résolution, elle fila un nouveau fil et vint s’affaler directement sur un grand buisson d’épines.
Ici, il y avait suffisamment de pousses et de branches en broussailles pour qu’elle y filât une toile. Et l’araignée se mit à l’ouvrage, en laissant le fil le long duquel elle était descendue supporter le coin supérieur de la toile.
Ce fut une grande et belle toile. Elle avait quelque chose de particulier, cette toile ; elle s’élevait dans le vide sans qu’il pût être possible de voir ce qui supportait son bord supérieur. Car il faut de bons yeux pour découvrir un fil d’araignée.

Les jours vinrent, les jours passèrent. Les mouches commencèrent à se faire rares et l’araignée se vit obligée d’agrandir sa toile, afin de pouvoir les prendre en plus grand nombre. Grâce au fil d’en haut, elle put élargir son piège au-delà de toute attente. Elle augmenta sa toile en hauteur et en largeur, et le fin réseau s’étendit bientôt sur toute la haie.
L’araignée était fière de son œuvre. Elle n’était plus le pauvre petit rien qui se balançait dans les airs sur un fil, sans un sou dans sa poche, pour ainsi dire, et sans autre fortune que ses glandes fileuses. Maintenant elle était une grosse lourde araignée bien à l’aise et elle avait la plus grande toile de toute la haie.
Un matin elle s’éveilla de très mauvaise humeur. Il avait un peu gelé pendant la nuit et il n’y avait pas le moindre rayon de soleil pour égayer la terre ; pas la moindre petite mouche ne bourdonnait dans l’air. L’araignée resta affamée et inoccupée tout le long de ce long jour.
Pour tuer le temps elle fit une ronde dans sa toile pour voir si elle n’avait pas besoin d’être réparée. Elle tira chacun des fils qui étaient tous bien fixés. Malgré cela elle resta d’une humeur affreuse.

« Un matin elle s’éveilla de très mauvaise humeur. »
Au bord extérieur de son réseau, elle finit par remarquer un fil qui lui parut complètement inconnu. Tous les autres se dirigeaient ici ou là et l’araignée connaissait chacune des branches auxquelles ils étaient fixés. Mais ce fil tout à fait inexplicable n’allait nulle part, cela veut dire qu’il allait directement en l’air.
L’araignée se dressa sur ses pattes et se mit à regarder en haut avec tous ses yeux. Mais elle ne put comprendre où ce fil aboutissait. Il avait l’air de s’en aller dans les nuages.
L’araignée devint de plus en plus rageuse, au fur et à mesure qu’elle regardait fixement sans arriver à rien comprendre. Elle ne se rappela plus qu’elle-même, en un jour clair de septembre, était descendu par ce fil. Elle ne se souvint pas davantage de l’utilité que ce fil avait eue lorsqu’elle avait filé puis agrandi sa toile.
L’araignée avait oublié tout cela ; elle se borna à remarquer qu’il y avait là un bête fil qui ne servait à rien et qui montait dans le vide.

_ « A bas ce fil », dit l’araignée
Et d’un seul coup de dent elle le coupa par le milieu.
Au même moment la toile céda, tout ce réseau si artistement construit s’effondra, et lorsque l’insecte revint à lui, il gisait sur les feuilles de la haie épineuse, la tête recouverte de sa toile qui n’était plus qu’un petit chiffon mouillé.
Un seul instant avait suffi pour détruire toute la magnificence de sa maison ; elle n’avait pas compris l’importance du fil d’en haut.