La Question du Mal – Janv 2019

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Jan, 2019

Classification de la structure du mal et nécessité d’un salut : restitution des discussions du Groupe « Aux Sources de la Foi » lors de la rencontre du 15 janvier 2019 – Autour du chapitre 2 (p 77-99) du livre d’Adolphe Gesché intitulé « Le Mal »

Les classifications du mal nous aident à clarifier la question. On peut en faire trois différentes.
En partant du point de vue éthique, on peut distinguer le ‘’Mal de faute’’, le ‘’Mal de peine’’ et le ‘’Mal malheur’’.
Les deux premières distinctions sont déjà bien établies dans notre tradition chrétienne, notamment depuis Saint Augustin. Le ‘’Mal de faute’’ est le péché dans notre langage chrétien, le ‘’Mal de peine’’ est la rétribution pour le mal commis, directement ou indirectement, (théorie du châtiment).
Mais, il faut ajouter une troisième distinction, celle du ‘’Mal malheur’’, qui indique un mal subi et non coupable. C’est celui de la victime innocente, qui est frappée d’un mal injuste. Il a souvent été oublié dans le monde chrétien, trop préoccupé par le mal moral.

On peut aussi classer le mal en partant de sa nature, en distinguant ses degrés d’être. On trouve, dans l’ordre, le ’’Mal du mal’’, ‘’le Mal de péché’’ et le ‘’Mal passion’’. Au premier degré, on trouve le mal radical, c’est le mal en tant que mal : mal absolu, démonique, antérieur à la culpabilité humaine, c’est le mal irrationnel. La figure de ce mal, c’est le Démon, qui fait le mal gratuitement, ‘’professionnellement’’, dont la malignité est mal-faisante.
Au deuxième degré, on trouve le mal de consentement (volontaire) et le mal de chute (involontaire). Il s’agit d’un mal coupable ou non. Il est illustré par le thème de la tentation et de la séduction. La figure de ce mal, c’est l’homme, mais sa responsabilité n’est que seconde par rapport au mal radical.
A un troisième degré, se rencontre le mal-passion, celui de la figure du prochain dans la parabole du Samaritain. C’est le mal qui est porté, donc non commis et non subi, mais porté par un autre, le prochain qui s’approche de celui qui souffre le mal.

Enfin une troisième classification est possible. Elle est structurale et séquentielle. A l’exemple de la parabole du Samaritain où on trouve trois actants : l’acteur, le destinataire et le tiers-adjuvant.

  • L’actant 1, c’est celui par qui le mal arrive. Selon le cas, il est le coupable, le démon, le séducteur, le pécheur, … Nous pouvons le qualifier de coupable du mal commis, à condition que la culpabilité n’occupe pas tout le champ de l’action.
  • L’actant 2, c’est la victime. Selon le cas, victime innocente ou victime plus ou moins consentante d’un séducteur. C’est sur lui que se concentre le malheur du mal et c’est à son propos que se décide le combat contre le mal.
  • L’actant 3, peut être un spectateur, un accusateur, un sauveur, un prochain, un justicier. Il est l’un de ceux-là, selon le cas. Mais l’évangile attend de lui de devenir un adversaire du mal, un ‘’sauveur’’ de la victime et un responsable du drame.

Voilà enfin ce mot de « responsable » dégagé de son ambiguïté.
Dans l’approche chrétienne du mal, illustrée par la parabole du bon Samaritain, le responsable est celui qui prend en charge la victime.

Responsabilité et culpabilité sont enfin déliées.

« Dans l’approche chrétienne du mal, illustrée par la parabole du bon Samaritain, le responsable est celui qui prend en charge la victime »

Nécessité d’un Salut : approche théologique

En face de la figure énigmatique du serpent se lève l’anti-figure mystérieuse d’un salut de Dieu dans le Christ.
Aucune possibilité interne au mal ne peut permettre une rédemption. La seule chance est une extériorité, une altérité, un ailleurs.
Dieu seul, dont le nom, comme le dit Paul, est « surabondance » peut apporter le Salut qui permet d’arriver au bout du mal.
C’est parce qu’il s’agit d’un désastre de destin, et non pas seulement d’une question de morale, qu’il faut un Salut. Les calculs, la sagesse, les prouesses de la vertu, sont inopérants. « Salut » est bien le mot qu’il faut prononcer.
C’est Dieu lui-même qui se lève et s’engage contre le mal. On pourrait dire, un peu familièrement si Dieu n’existait pas, c’est ici qu’il faudrait l’inventer.

« C’est Dieu lui-même qui se lève et s’engage contre le mal. »

Dieu a voulu connaître le mal en son fils. Seul innocent, délié de toute complicité, seul en mesure d’abattre le mal. Selon l’expression de Paul : « fait péché pour nous ». Aucun homme n’est capable de porter ce poids.

Les médiations du salut.

Deux attitudes ont occupé le champ chrétien et viennent spontanément à l’esprit dans ce domaine : la justice et la charité. On se pose, aujourd’hui, des questions à propos de la justice et il n’est pas inutile de voir comment réévaluer la charité.

La justice a ses limites. Elle est ‘’raisonnable’’, elle est toujours « équilibre ». C’est une caractéristique nécessaire, mais est-elle adéquate pour l’enjeu ?

Il serait illusoire de croire qu’avec la seule justice des hommes nous aurions accompli toute justice. Un « excès » nous est réclamé.
Dieu seul est juste. Mais de quelle justice parlons-nous ? N’indexons pas Dieu aux calculs de notre morale et de ses codes. Nous n’avons pas à « mettre Dieu sous tutelle », en lui imposant de se faire justicier, contraint à ne jamais pardonner, à ne jamais « remettre » nos fautes.

« Il serait illusoire de croire qu’avec la seule justice des hommes nous aurions accompli toute justice. Un « excès » nous est réclamé »

La justice des hommes implique encore trop souvent des comportements archaïques. Elle se fait facilement accusatrice, dénonciatrice. Elle est souvent animée par la vengeance ou le ressentiment. Bref, la justice reste souvent justicière, voire meurtrière. Pour la justice, le bien est simplement l’opposé du mal. Mais le bien est infiniment plus que cela.
Pas question, bien sûr, de mettre la justice des hommes en cause ici, mais il convient d’en souligner ses limites. La justice est une vertu morale, le salut ne peut être conquis de cette façon-là.

Pour ce qui est de la charité, elle est irrationalité de création, alors que le mal est irrationalité de destruction. A ce titre, la charité constitue la médiation par excellence. La re-création par la charité se fait l’écho de la première création, qui fut geste d’amour de la part de Dieu, sans calcul, dans l’abondance.
La charité est le chemin choisi par Dieu pour combattre le mal. Loin donc d’un Dieu païen « méchant », le Père « souffre une passion d’amour », selon la belle expression d’Origène. Ne faisons pas de Dieu un justicier, le mal ne crie pas seulement vengeance, il crie surtout compassion.
Nous sommes invités à entrer dans une logique d’excès et de gratuité, qui n’est pas celle de la justice.

« Le mal ne crie pas seulement vengeance, il crie surtout compassion »

Nous assistons à un nouveau déplacement. La justice se mesure vis-à-vis du coupable, tandis que la charité prend sa mesure à partir de la victime. Jésus disait . « Si votre justice ne dépasse pas … »

La critique qui est faite à la charité, c’est de faire durer, voir prolonger inutilement, des situations humanitaires précaires sans porter les réformes de fonds indispensables. C’est un raisonnement, qui peut paraître juste, mais il risque de nous éloigner de la gratuité dans l’abondance, pour nous faire entrer dans la morale des œuvres.
La moralisation de la charité l’endigue, au lieu de lui laisser libre cours.

Remarquons enfin que dans le fameux chapitre 25 de Matthieu, qui parle de donner à manger à ceux qui ont faim, un toit à ceux qui en sont dépourvus…il n’y a pas que les ‘’mauvais’’ à ignorer ce qu’ils ont fait, ou pas fait. Les ‘’bons’’, ceux qui ont donné, ne savent pas non plus qu’ils l’ont fait. La chose leur avait échappé !

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