La Question du Mal – Dec 2018

par | Aux Sources de la Foi | 0 commentaires

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Déc, 2018

Approche théologique du mal : restitution des discussions du Groupe « Aux Sources de la Foi » lors de la rencontre du 11 décembre 2018 – Autour du chapitre 2 (p 63-76) du livre d’Adolphe Gesché intitulé « Le Mal »

Nous avons appris à jeter un autre regard sur le mal et le péché dans les premières pages du chapitre 2.  Il nous faut maintenant approfondir ces points essentiels.
Trois éclairages complémentaires vont nous y aider.  Le premier est en rapport avec l’éthique, le deuxième concerne la dogmatique chrétienne et le troisième est en lien avec les structures de l’être et de l’agir.

Il convient donc, en premier, de parler de la ‘’dé-moralisation’’ de la question du mal. Le mal n’est pas d’abord un problème moral, de péché, mais un problème destinal et objectif. Il y a dans le moralisme certains aspects pervers, le plus souvent inconscients. On peut en relever trois principaux.

La culpabilité n’occupe pas tout le champ du mal. Il y a aussi le mal malheur.
Dire que le mal a une portée métaphysique et destinale, c’est prendre en compte le caractère foncièrement dramatique du mal.
Le mal n’est pas seulement dans l’intention. Et inversement, sans intention coupable il peut y avoir du mal. Responsabilité ne coïncide pas de bout en bout avec culpabilité. Dans la parabole du bon Samaritain, le vrai responsable, celui qui agit en responsable, ce n’est pas le coupable (en fuite), ni l’accusateur, mais celui qui s’est approché pour porter secours.
Une manière d’être responsable qui rompt avec les seules approches de culpabilité.
A nouveau il y a un renversement remarquable du problème.

« La culpabilité n’occupe pas tout le champ du mal »

Un moralisme trop appuyé peut conduire à une culpabilisation outrancière, véritable intoxication de la conscience et qui finit par empoisonner toute l’existence. Dans le culpabilisme, le coupable, je le cherche en moi, et je n’ai de cesse de m’accuser. Les dégâts qui en résultent, pour la personne, sont considérables. Point n’est besoin de se sentir coupable pour combattre le mal.

Enfin la tradition chrétienne a fait peu de cas du mal malheur. En développant la doctrine du mal châtiment, la théologie a plus ou moins occulté la question. On ne se défait pas de tant de siècles marqués par Saint Augustin. En effet, en affirmant que tout mal est une faute ou une peine, Saint Augustin a profondément imprégné la culture chrétienne jusqu’à nos jours.
Ce qui est contestable, c’est de ramener tout le mal-malheur aux dimensions d’un châtiment. Ce faisant, on est totalement injuste à l’égard de tant de victimes. Une telle doctrine ne fait pas justice aux hommes, ni honneur à Dieu.
La dé-moralisation n’évacue pas la culpabilité, elle invite seulement à bien la situer.
Nous sommes invités à nous tenir sur le vrai lieu de combat : le secours à la victime et la nouvelle responsabilité, celle du Samaritain.

Il faut ensuite apporter un deuxième éclairage relatif à la dogmatique du mystère du mal. Ce qui vient d’être dit conduit inévitablement à revoir le rapport du mal à la théologie dogmatique. Il faut éviter de bloquer l’évocation de Dieu avec celle de la culpabilité, pour ne pas altérer le vrai visage de Dieu.
‘’Dieu n’est pas tant offensé par ce qui serait un attentat à ses droits que par ce qui est une atteinte à notre destinée’’ dit Gesché.

L’image de Dieu sort rarement grandie des discours de justification de Dieu face au mal. Dieu doit reprendre sa véritable place, celle d’un protagoniste dans le drame du mal. C’est Dieu, sans complicité et sans explication devant le mal, qui s’avance maintenant en adversaire redoutable et en sauveur. Non pas d’abord mobilisé par un outrage, mais mû par l’injure qui nous est faite, à nous, par l’ennemi.
Nous gagnons, en cela, un Dieu qui ressemble plus à ce qu’il mérite d’être.

« Dieu n’est pas tant offensé par ce qui serait un attentat à ses droits que par ce qui est une atteinte à notre destinée »

La figure du Démon est indispensable pour penser le mal. Elle est irrationnelle tout comme le mal. Cette figure permet de constituer une limite, une frontière : ce qui n’est pas Dieu et ce qui n’est pas l’homme. Signal planté à la croisée des chemins, qui dit sur le compte de qui mettre la méchanceté fondamentale.
Hors de Dieu, hors de l’homme : un ‘’hors-les-murs’’ qui déculpabilise.
Nous voilà libéré pour l’action. En disant « dé-mon », je dis : ce n’est pas moi.
Ce n’est pas mon être, j’ai été trompé, j’ai cédé à quelqu’un qui m’a piégé.

Enfin, en troisième lieu, il faut éclairer les conséquences sur notre être. D’emblée, dans la Bible, l’affrontement du mal et au mal n’est pas d’abord affaire d’éthique, mais de destinée. Elle concerne d’abord l’être (et non le faire). La véritable perversion du mal réside dans le détournement.
L’homme est perdu, dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire, il a perdu les chemins de sa vocation. Il peut donc y avoir pire que d’être coupable : c’est de s’être égaré ou d’avoir été trompé. « L’homme se trouve en erreur de destinée ».
La dogmatique du mal signale donc l’enjeu : la perdition. Elle signale aussi les chemins de l’issue. Le mal est tel qu’il nécessite une ‘’rédemption’’.
Qu’est-ce donc que le mal pour qu’il sollicite un tel « déplacement » de Dieu ?
C’est bien la preuve que la chute est bien plus que simple affaire morale.

« L’homme se trouve en erreur de destinée »

En parlant d’erreur de destinée, qui a requis la ‘’descente’’ de Dieu sur la terre, la dogmatique chrétienne a redécouvert toute la puissance du mal.
L’ultime dramatique du mal, c’est de nous proposer, et de nous faire ‘’réussir’’, quelque chose qui nous conduit au désastre. L’expression allemande, empruntée à la psychanalyse, « Fehl-Leistung », ou acte manqué, traduit bien cela, c’est la pleine réussite d’une réalisation qui, pourtant, conduit à l’échec.

Nous assistons à nouveau à un déplacement, cette fois, de la morale. Elle trouve enfin son véritable lieu, celui du secours aux victimes.

Ce déplacement s’ajoute aux autres déplacements déjà évoqués ; du coupable à la victime ; de l’accusateur au prochain ; du responsable humain au coupable démonique ; du mal de péché au mal de malheur ; de l’intention au fait ; de Dieu « surpris » au Dieu qui descend.
Ces déplacements nous invitent à une adéquate classification du mal.

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