Étrangers, nous le sommes tous
3 février 2019

Étrangers, nous le sommes tous

Prédicateur:
Passage: Lévitique 19-18:34
Type De Service:

Chers sœurs et frères,

Vous souvenez-vous du titre du dernier Blé (Bulletin de liaison et d’échanges) qui vient de paraître ? Il s’intitule : Vous avez dit « Etranger » ?

Ce numéro est consacré aux personnes et aux situations que nous connaissons le plus au monde et qui nous sont tout proches.

Mais au fond, c’est quoi un étranger ?

Etrangers, nous le sommes tous.

C’est pourquoi je voudrais prendre l’exemple suivant :

Peut-être avez-vous déjà lu ce texte que l’on trouve dans l’Evangile de Luc au chapitre 24, et qui raconte la rencontre de deux disciples, cheminant avec Jésus  ressuscité sur la route d’Emmaüs.  Cet homme leur est étranger, alors qu’ils ont vécu des moments très importants avec lui, avant sa mort.  Ils cheminent avec lui sans le reconnaître.  C’est ça un étranger. C’est celui qu’on ne reconnaît pas, soit parce qu’il vient d’une autre nation, d’un autre pays, que celui auquel on appartient, soit parce qu’il ne fait pas partie d’un même groupe, d’un même milieu, d’un même organisme, d’une même institution. Le mot étranger vient de l’adjectif, étrange, qui signifie « qui frappe par son caractère singulier, insolite, surprenant, bizarre ». L’étranger est autant le lointain que le tout-proche. Il suffit juste qu’il ait un comportement inhabituel, différent du nôtre.  Et parfois, ce n’est pas la peine d’aller très loin. Toute personne est une étrangère, tant qu’on ne la connaît pas.

Que dit la Bible à propos de l’étranger ? Elle parle immédiatement de l’accueil de l’étranger. Cette question de l’accueil de l’étranger existe depuis la fondation du monde. Déjà, dans le livre de l’Exode, qui raconte l’histoire de Moïse, et de la sortie d’Egypte du peuple hébreu, au chapitre 22, le verset 21 interdisait formellement d’exploiter l’étranger.

Le livre du Deutéronome, qui est le renouvellement de la Loi de Moïse, au chapitre 10, le verset 19, franchit un nouveau pas, déterminant en ce sens qu’il précise que non seulement tu respecteras l’étranger, mais tu l’aimeras. C’est Dieu qui le dit, au travers du commentaire des 10 commandements. Pour quelle raison faut-il aimer l’étranger, le migrant ? Pour la seule raison c’est que toi-même, peuple d’Israël, tu as été un migrant, un étranger, dans le pays d’Egypte.  Ce passage du Deutéronome est le seul à préciser qu’il faut aimer quelqu’un d’autre, hormis Dieu. Pourquoi cette précision ?  Il faut se souvenir que Dieu s’est révélé à son peuple par l’intermédiaire de Moïse, alors qu’ils étaient en esclavage, immigrants, dans le pays d’Egypte. Ils étaient exploités et sans droit, sur une terre étrangère. C’est pourtant là que Dieu se fait connaître à son peuple. Avec lui, il conclura une alliance dans laquelle Israël s’engage à aimer à son tour l’étranger qui est installé sur sa terre.

Le livre du Lévitique dit la même chose, en insistant à deux endroits : au chapitre 19, les versets 18 et 19, en rapport avec l’amour du prochain, et les versets 33 et 34, en rapport avec l’amour de l’immigré, qui est en fait le premier  de tous les prochains.

En parcourant le premier Testament, on s’aperçoit que l’étranger est la seule personne que Dieu engage à aimer comme soi-même.

C’est pour cela qu’on comprend mieux la question que posent, plus tard, les pharisiens à Jésus, lorsqu’ils lui demandent : « Quels sont les commandements les plus importants » : Au fond, ils savent la réponse, c’est déjà écrit dans la Torah : aimer Dieu et aimer son prochain. Mais il ne faut pas ignorer l’autre partie de la question toujours si pertinente encore aujourd’hui : « Et qui est-il  ce prochain ? »

Jésus raconte alors la parabole du Bon Samaritain. Et la réponse de Jésus sera : « Le prochain, c’est celui dont on s’approche. C’est moi qui suis le prochain de l’autre, si je m’approche de lui. C’est aussi celui qui s’approche de moi.

Je ne choisis pas celui qui s’approche de moi ou de qui je m’approche. Il est juste différent de moi, un peu, beaucoup. J’ai besoin de lui, il a besoin de moi. C’est celui pour qui je suis bon, ou qui est bon pour moi. Il me donne sa présence, je lui donne la mienne. C’est cela aimer son prochain comme soi-même. L’étranger, le prochain, tout est lié. Tous les prochains sont étrangers, y compris les plus proches. Parfois, je peux me sentir étrangère à moi-même. « Nous sommes tous des étrangers et des voyageurs sur la terre » dira l’apôtre Pierre, dans sa première lettre (2/11) repris ensuite par l’auteur des Hébreux, (11, 13 à 16).

Aujourd’hui, des étrangers, exilés de leurs pays par la faute de la guerre, des massacres et des violences, frappent à notre porte et cela bouscule notre vie bien organisée ou organisée tant bien que mal. Mais au fond, ce n’est pas propre à notre époque et cette migration existe de tous temps sur la terre, à toutes les époques. Dans l’Evangile de Matthieu, on nous raconte comment Jésus lui-même a été obligé de fuir son pays avec ses parents, en Egypte, à cause du roi Hérode. La terre d’Egypte, autrefois pays d’esclavage pour le peuple hébreu devient terre d’asile pour l’enfant Jésus et ses parents.

Par ailleurs, on connaît l’histoire des Juifs à travers l’Europe fuyant inlassablement les pogroms en tous genres, et on peut multiplier ces histoires d’exil, par le nombre de peuples existant sur la terre. Il n’y a pas si longtemps, ce sont les protestants de France qui trouvaient à l’étranger en Suisse, en Allemagne, en Hollande, puis en Amérique, un refuge parce que leur vie était en danger en France à cause de leur foi différente. Il y a une centaine d’années, les Arméniens ont trouvé refuge en France, entre autres, au péril de leur vie, au moment du génocide. Chacun à notre tour, nous découvrons que nous pouvons devenir des migrants. La liberté est toujours provisoire et conditionnelle, liée à la politique de chaque pays. Il suffit qu’on appartienne à une minorité qui subisse toute sorte de discrimination, qui peut être, non seulement politique, mais sociale, raciale, sexuelle ou religieuse. Aucun pays n’est à l’abri.

Il n’y a pas que les réfugiés liés aux persécutions. Il y a les réfugiés économiques, qui sont obligés de quitter leur pays, pour gagner une vie décente pour eux et leurs familles, ailleurs.

Et aujourd’hui, nous sommes ou nous allons être sous peu, concernés par les réfugiés climatiques, tout simplement parce que leur terre, leur pays sera devenu invivable à cause des catastrophes naturelles qui dévastent tout sur leur passage.

C’est sans doute à cause de la multiplicité des raisons qui font qu’on ne peut pas toujours rester dans son pays d’origine, que la Bible insiste tant sur l’accueil de l’étranger. Parce que, étrangers, nous le sommes tous. Et que nous sommes tous de la même famille humaine, à défaut d’être de la même famille sociale ou religieuse. Et Dieu aime toute son humanité.

« Tu aimeras l’étranger car moi, dit le Seigneur ton Dieu, je l’aime. Je l’aime comme je t’ai aimé quand tu étais en Egypte, et que tu souffrais de ta condition d’émigré. Je l’aime comme je t’aime quand tu souffrais en France d’être un protestant devenu hors la loi. Je l’aime comme je t’aime quand tu étais un juif errant.  Je l’aime comme je t’aime, quand tu as été emmené de ton pays d’Afrique, en esclavage, aux Amériques. Je l’aime comme je t’aime, quand tu es un musulman qui cherche autre chose dans ma parole, que la haine pour vivre ta foi. Je l’aime comme je t’aime, quand tu es apatride, quelle qu’en soit la raison.

Tu aimeras l’étranger comme toi-même ! En plus !

Comme toi-même. Ces mots sont toujours un peu gênants à définir. Mais cela veut dire tout simplement : l’autre est comme moi, et moi je suis comme lui.  Un peu comme les deux faces d’une même pièce. Si je me reconnais en lui, alors il ne sera plus un étranger pour moi. Chaque étranger, chaque prochain est un humain comme moi et non un numéro.

Je voudrai conclure avec les mots que j’ai trouvés dans un article écrit par le pasteur de la communauté évangélique méthodiste d’Agen (47), le pasteur Jean Ruben, et qui résume ainsi :

« Dans les versets 17-18 et 19, du livre du Lévitique, l’accent est mis sur la fragilité de la condition humaine, de toute personne qui vit dans une société où règnent des tensions, où se trouvent des situations d’inégalité qui peuvent, humainement parlant, provoquer la haine, la vengeance, la rancune. Mais à travers ce commandement, Dieu met le doigt sur la condition de membre de la communauté pour tous, pour l’israélite comme pour l’étranger : « Je suis le Dieu de l’un et de l’autre ».

Jésus, en racontant la parabole du bon samaritain, montre, après le rappel de ce commandement d’aimer son prochain comme soi, que l’étranger est capable d’aimer, de se mettre au niveau de celui qui est dans le besoin, il en est devenu le vrai prochain ; d’autant plus qu’il est celui qui est si souvent rejeté (Lc 10).

« Tu aimeras l’étranger comme toi : car vous avez été vous-mêmes étrangers en Egypte. Je suis l’Eternel votre Dieu » (Lévitique 19v34) : c’est-à-dire, tu as connu cette condition de rejet, d’esclavage, d’exil à l’étranger, tu peux d’autant mieux comprendre la condition de ceux qui la vivent dans ton pays et les aimer. Il est comme toi.

« Tu aimeras ton prochain qui est comme toi » : vis-à-vis de celui qui vit dans la vengeance, avec des torts, en fait, reconnais que tu lui ressembles, tu n’es en rien supérieur, tu es de la même pâte, de la même nature humaine. Même si tu as réglé ces problèmes, tu es comme lui. L’aimer, c’est être prêt à l’aider, à passer par-dessus un esprit de vengeance, de supériorité, de jugement qui condamne.

Cela conduit à quelques implications :

– C’est un appel à vivre dans l’humilité les relations avec mon prochain et non dans l’orgueil qui oppose, condamne, rabaisse.

– Ce prochain est comme moi, fragile dans des situations éprouvantes ; quelle que soit sa situation ou sa condition, il a donc particulièrement besoin de mon soutien concret, de mon amour.

– Nous ne savons pas aimer quand nous ne faisons pas l’effort de comprendre sa situation, mais aussi quand nous ne savons plus voir que nous sommes de la même nature que lui, enclins aux mêmes égarements.

– Nous ne savons pas (ou plus) aimer quand nous oublions d’où nous venons, ce que nous avons vécu, nos esclavages, quand nous ne percevons pas notre évolution qui a été lente et que nous considérons alors les autres seulement à travers ce que nous sommes aujourd’hui.

– Et puis, aime celui qui s’est vengé, qui a calomnié, qui rejette, parce que, tout cela, tu l’as vécu et tu en as été blessé profondément ; la solution n’est pas en vivant la même réaction mais en aimant, même – et surtout – si c’est ton ennemi (Mattieu 5, v44). Il s’agit de vivre concrètement : « Tu aimeras ton prochain, comme toi tu as été aimé ».

Il s’agit donc de ce commandement d’amour du prochain, dans la prise de conscience de ce qui nous réunit comme vécu, comme humanité, pour l’aimer et l’aider ; dans l’humilité envers lui et dans l’obéissance à la volonté de Dieu ». (fin de citation).

A travers les différents récits bibliques qui nous sont confiés aujourd’hui, nous recevons l’appel de faire attention à nos prochains, aux migrants qui sont chez nous, de la même façon que nous faisons attention à nous-mêmes. Pour la seule raison, c’est que, comme le dit le Talmud, qui est le livre qui rassemble les commentaires rabbiniques, à propos de la Loi de Dieu donné à Moïse :

"Il n'y a pas d'étrangers sur cette terre : il n'y a que des gens qui ne se sont pas "encore" rencontrés."

Amen.

Agnès Adeline-Schaeffer, le 3 février 2019.

 

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